Ayant lancé différents avis de recherche sur FLL par internet (notamment par des réseaux d’anciens déportés), Jean-Claude Halpern, historien qui a fait le voyage à Dora et Seesen avec Sylvie Roelly, JJ et moi, reçoit ceci :
—– Original Message —–
From :kirrosor[à]***.fr
Sent : Monday, December 11, 2006 5 :54 PM
Subject : François Le lionnais
Cher Monsieur,
Votre avis de recherches concernant François Le Lionnais appelle aux témoins qui l’auraient rencontré après son évasion en avril 1945. Malheureusement, je ne suis pas dans ce cas. Mais si vous vous désirez faire une étude sur la vie de Le Lionnais, je vous précise que je l’ai un peu connu en 1945 et dans les années 50.
Surtout, vous pourriez voir des informations nombreuses par Maroussai Naïtchenko ( la soeur de tania Naïtchenko (décédée en 1999) qui avait épousé Le Lionnais dans les années cinquante). Toute la famille Naïtchenko l’avait fréquenté avant guerre et après.
Maroussia Naïtchenko a d’ailleurs écrit un livre : « Une jeune fille en guerre » paru aux Editions Imago en 2002 que vous pourriez vous procurer en le commandant chez un libraire et dans lequel elle donne beaucoup d’informations sur lui. Maroussai naitchenko, actuellement malade, est soignée à Nyons. Vous pouvez lui téléphoner pour avoir des précisions au 04 ** ** ** **.
Je pense que vous connaissez le livre de mémoires de José Corti dans lequel celui-ci met en cause son imprudence et le rend responsable de la mort de son fils, mort en déportation.
Restant à votre disposition
André Rossel-Kirschen
Je m’empresse de téléphoner au numéro indiqué. Maroussia répond.
Elle habitait Paris depuis toujours, mais elle a un cancer. Sa fille Sonia, infirmière à Nyons lui a proposé de venir s’installer là-bas, dans une maison pour personnes âgées, La Pousterle, et de se faire soigner à Avignon (qui est quand même à 80 Km de là).
Maroussia commence à me parler de FLL. Je l’interromps en lui disant qu’il sera plus simple de venir la voir.
Maroussia ajoute qu’elle n’aura que peu de choses à nous dire, mais qu’elle a cependant fort bien connu FLL avant-guerre (dès 1935) et après-guerre. Elle m’autorise (« Accordé ! » me répond-elle d’une voix très assurée avant même que j’aie précisé l’objet de ma requête) à enregistrer l’entretien.
Jean-Claude Halpern est intéressé, mais part sous d’autres cieux plus cléments.
JJ est intéressé, mais est en répétition de nouveaux épisodes de l’Amour au travail, par la Compagnie du même nom.
MB est très peu disponible en janvier 2007.
JR se déclare immédiatement partant.
Nous faisons d’âpres recherches internet pour savoir comment rejoindre Nyons. Le site de la SNCF ne propose que d’aller en Suisse à Nyon. Et je n’y tiens absolument pas. Le syndicat d’initiative de Nyons me précise que l’aller-retour est possible dans la journée. Nous prendrons le train de Paris de 6h50, arrivée 9h45 à Montélimar, repartirons à 10h en autocar pour arriver à Nyons à 11h15. Pour le retour, l’autocar démarre à 17h à Nyons, arrive à 18h15 à Montélimar et le train pour Paris a son arrêt à Montélimar à 18h18. Nous nous perdons en conjectures sur la possibilité de prendre ce train, le retard possible du car, l’éloignement de la gare routière et de la gare. Finalement, JR prend les billets en gare Saint-Lazare et m’annonce fièrement qu’il a trouvé un train de retour à 18h27. Sur le serveur de la SNCF, si vous demandez les trains Montélimar – Paris à partir de 18h, ce train ne figure pas ; il faut demander les trains à partir de 19h pour le voir apparaître. JR ironise sur mes facultés d’organisateur. Je me gratte la tête et m’arrache quelques cheveux.
C’est ainsi que jeudi 4 janvier, nous arrivons à 11h08 dans la ville de Nyons. Or c’est jour de marché (comme tous les jeudis). Et le marché occupe toute la ville. La lumière est belle, il fait bon, les commerces d’extérieur ouvrent les yeux et l’appétit. Je ne me sens pas pressé.
Nous nous arrêtons prendre des fruits pour Marie-Louise, Martin et Margot, tant ils sont aimables et beaux.
Un peu plus loin, les fameuses olives de Nyons. Je prends de la tapenade. Et plus loin encore, un marchand de pierre d’Alep et de pierre d’alun. Je prends un bloc de pierre d’alun, qui soulage « le feu du rasoir ». JR s’impatiente de me voir m’arrêter à chaque étal. Mais nous ne sommes pas en retard.
Les passants interrogés connaissent tous La Pousterle (ce qui veut dire « Le Portail »), mais ne savent pas comment y parvenir. C’est sur la hauteur de la ville, assurément. Une dame fort aimable que j’arrache au confiseur quitte le magasin, la vendeuse et le paquet qu’elle lui prépare pour nous montrer le chemin. Nous entrons dans La Pousterle. Au loin, un bras se lève, Maroussia nous accueille.
Nous montons dans sa chambre. Maroussia marche lentement. Elle nous explique qu’elle a commandé un taxi pour le déjeuner.
En attendant, elle nous sert un fort bon Porto, mais JR n’a pas soif.
Et l’entretien démarre. Nous nous présentons, expliquons l’objet de nos recherches, parlons du voyage récent à Seesen et Dora sur les traces de François Le Lionnais.
Maroussia nous parle d’elle. Elle est née le 17 novembre 1923 d’une mère française Annette issue d’un ancien passé aristocratique (le grand-père de son grand-père, Jean-François de Guilhermy, émigré royaliste, était député du tiers-état à Castelnaudary. Depuis ce temps-là (ou plus tard), la famille possédait et habitait le château de Dorval) et d’un père apatride, Mithia. Ce père, ukrainien, est arrivé en France en 1914 pendant la mission alliée russe. Il est issu d’une famille de onze enfants, très pauvre. Il épouse Annette en 1920. Après avoir été agent de change dans les années 1920, il fait les marchés de bonneteries dans la région parisienne. Il ne rentre qu’exceptionnellement à la maison où il ne lui est marqué aucune considération.
Mithia et Annette se sépareront en 1936/37 (séparation de corps). Mithia est donc absent de l’éducation et de la vie de Maroussia et c’est dans un univers essentiellement féminin que grandit Maroussia, entourée de sa mère, de sa grand-mère et de sa sœur Tania. Tania, née le 29 septembre 21, était très attachée à son père, qui était fier d’elle. Il avait espéré un fils, mais s’était consolé grâce à cette enfant intelligente, qui se montrait garçon manqué, entreprenante, volontaire et bougon. Mithia fut déçu par la naissance de la deuxième fille et ne lui accorda aucun intérêt. Quant à Tania, elle souffrit sévèrement de la naissance de sa sœur, qui coïncida sans doute avec la mésentente de ses parents. Elle ressentit une jalousie violente contre cette petite sœur fragile qui requérait tous les soins, et ce au moment même où son père disparaissait pratiquement de l’univers familial et se désintéressait de plus en plus d’elle, accaparé qu’il était par ses soucis professionnels et familiaux.
Jusqu’en 1935 environ, la famille habite au cœur du VIIème arrondissement, au 4, cité de l’Alma, dans un trois pièces bondé de beaux meubles d’époque et de portraits de famille.
Tania aime l’école et elle y réussit. Maroussia se sent très tôt indépendante. Sans être rebelle, elle n’est pas heureuse à l’école. Sa mère la laisse libre et n’assure guère de « surveillance », ce qui conduit, dans le climat antifasciste familial, à un épanouissement rapide de Maroussia à l’idée de générosité sociale.
Reçue à l’examen pour entrer en sixième du lycée Victor Duruy, Maroussia y commence ses études.
En 1935, sa mère l’emmène à une réunion des Amis de l’URSS. Un certain François Le Lionnais, secrétaire de la section PC du VIIème arrondissement, anime la conférence. De taille très moyenne, boudiné dans un costume modeste, un pan de son écharpe flottant derrière lui, myope et les lunettes lui glissant sur le bout du nez, qu’il a rond, le visage replet sous une chevelure foncée et frisée, il terminait chacune de ses phrases d’un « N’est-ce pas ? » ou « S’pas ? », dans le souci de s’être bien fait comprendre. Il expliquait sans hâte et très clairement.
Amenée à une réunion de cellule un petit peu plus tard, Maroussia ment effrontément sur son âge et adhère aux Jeunesses Communistes en 1935, à l’âge de douze ans. Elle vend régulièrement L’avant-garde. Et en 1937, à l’âge de 14 ans, elle devient secrétaire de l’Association des Jeunes Filles de France du VIIème arrondissement.
Maroussia Naïtchenko (qui sera désignée MN dans ce compte-rendu) commence à militer ; pour ce faire, elle décroche de l’école, ou en tout cas accumule un grand retard. Mais sa mère n’en a cure. Maroussia signe elle-même ses bulletins d’absence et Maroussia n’aura pas son certificat d’étude. Le fossé de son ignorance se creuse peu à peu, mais elle parvient à faire illusion et passe finalement de classe en classe sans problème, alors que Tania se consacre sérieusement et entièrement à ses études.
Le gouvernement Blum pratiquant la politique de non intervention durant la guerre d’Espagne, nombre de militants s’engagèrent clandestinement pour la défense de la République espagnole. Les Jeunes Filles de France parrainaient ces combattants volontaires et collectaient des boîtes de lait pour les enfants d’Espagne. À quatorze ans, MN organise des bals au bénéfice des combattants.
François était secrétaire de la Section du Parti Communiste où Annette à son tour adhéra. La même cellule réunissait, outre FLL, le préparateur en pharmacie de la famille Naïtchenko, Zélies, René Bétinas et sa femme, Eugène Pelletier et sa compagne Reine.
FLL devient un ami de la famille Naïtchenko. Il vient une fois par semaine, apporte des piles de livres sélectionnés pour les prêter à la famille ainsi que ceux, neufs, dont Maroussia est chargée de couper les pages et, au lieu du traditionnel bouquet de fleurs à la maîtresse de maison, des cartons d’huile, de riz ou de sucre.
Il arrivait fréquemment que FLL prît des places de cinéma et y emmenât MN et sa mère. D’autres fois, il emmenait Tania et Maroussia à des expositions d’archéologie ou au Palais de la Découverte (où Georges Dreyfus, ami physicien de FLL, était démonstrateur). C’est aussi qu’il y donnait des conférences pour Messidor, journal ouvrier.
C’est dans ce bâtiment que MN assiste pour la première fois à une émission de télévision : l’appareil récepteur est placé sous un escalier du rez-de-chaussée. Des années plus tard, François donnera des rendez-vous clandestins à MN dans le planétarium désert.
Avant-guerre, FLL prenait ses repas Chez Valentin, avenue de La Motte-Picquet ; en face, le café Le Tourville organisait des tournois d’échecs avec FLL.
À cette époque (et jusque dans les années 1960), FLL habitait au 24, rue du Champ-de-Mars, au cinquième étage dans la cour. C’était un petit 3 pièces, aux murs tapissés de livres. Il y avait des livres de détective dans les WC. La table de salle à manger et le buffet bas étaient en chêne clair. Une peau de serpent de plusieurs mètres se déployait au-dessus de la porte de la chambre, chauffée au gaz. Tous les murs étaient recouverts de simples étagères supportant des milliers de livres. Un petit carnet, muni d’un crayon attaché à une ficelle, invitait le lecteur à noter lui-même les livres qu’il emportait ou rapportait. FLL possédait là-bas un chat qui louchait et qui avait pour nom Groucho.
Une heure plus tard, au restaurant, Maroussia nous dessinera le plan de l’appartement de FLL : dès qu’on entre, un couloir, se terminant par un débarras, et desservant à droite la salle à manger et la chambre, et à gauche la cuisine WC et la chambre d’amis.
C’est donc dans un « militantisme légal » que MN côtoie FLL. En 1939, elle part camper. À son retour, elle apprend avec stupeur le pacte germano-soviétique. Tout l’entourage s’incline, soit convaincu des arguments donnés par le PC, soit de crainte d’être jugé renégat par les siens. Et le PC explique qu’il s’agit d’une tactique de l’URSS qui cherche à gagner du temps, celui de se préparer militairement à se battre contre l’Allemagne.
Pour Maroussia, il n’était plus question d’examen. Les lycées avaient fermé. Sa grand-mère était partie dans la forêt de Rambouillet, chez Pierre Demange (le fils de Maître Demange, défenseur de Dreyfus, dont le grand-père de Maroussia était le cousin). La lutte clandestine commençait à s’organiser.
Un ami de MN, Robert Girard, ancien militant des Jeunesses Communistes du VIIème arrondissement, va tirer des tracts chez FLL. Il jette les stencils à la poubelle. Une femme de ménage les récupère et dénonce FLL. Ce dernier, qui était mobilisé, est arrêté lors de sa permission, prouve (grâce à un habile mensonge de MN) son ignorance de l’utilisation de son logement et est renvoyé au front. La police déclara que la figure du théorème qui illustrait une lettre adressée à Tania était le plan de la ville de Nancy ! Quant aux parties d’échecs familiales par correspondance, elles firent plancher ce même service, qui y vit un langage codé ! Robert Girard est condamné à plusieurs mois de prison.
MN n’a aucune souvenance de la manière dont sa mère parvint à entrer comme professeur de français à la Kommandantur, Peut être même ne l’a-t-elle jamais su, en raison même de la discrétion nécessaire aux activités résistantes. Madame Naïtchenko est arrêtée en février 41 (à la place de MN, pour une affaire de tracts) et condamnée à quatre mois de prison. MN déclara à la Kommandantur que sa mère était hospitalisée pour une crise cardiaque et… la mère reprit tout naturellement son poste quand elle sortit de la Petite Roquette ! (Précision : le prénom de Madame Naïtchenko est Annette, mais tous les camarades l’appellent Anna, et durant la guerre, elle demande à ses deux filles de l’appeler Muttie. Ce surnom est alors définitivement resté.)
Un matin, face à la Tour Eiffel apparaît un drapeau aux grandes lettres V. O. MN veut y comprendre Vie Ouvrière, mais sa mère lui donne l’explication : Ville Ouverte. Bientôt, c’est l’exode. Paris semble vide. Mais la famille Naïtchenko reste à Paris. FLL ne les oublie pas, qui envoie régulièrement du fromage.
Georges Grünenberger, futur mari de MN, issu d’une famille communiste, travaillait à l’Huma. Georges était en réalité le factotum de Maurice Tréand, lequel était l’amant de la mère (Valentine Roux) de Georges.
Le nom Grünenberger est celui d’un autre ami de Valentine, ami qui a « reconnu » Georges. Maroussia se mariera, enceinte, en 1943, avec Georges, au Camp de Compiègne.
En 1940, MN apprend que l’Huma va reparaître et elle en est furieuse. « Comment pourrait-on faire paraître une presse légale et accepter que nos camarades soient dans le même temps emprisonnés » se disait-elle ? « Ce serait les trahir ! » C’est Georges, responsable des Jeunesses Communistes dans cinq arrondissements de Paris, qui se fait prendre (octobre 1940) ainsi que Guy Mocquet : Georges écope d’une peine d’un an, peine énorme, tandis que Guy Mocquet est relaxé.
La drôle de guerre s’installe, les journaux clandestins circulent. Les Jeunesses Communistes se reconstituent, elles organisent des lancés de tracts (depuis une bicyclette) dans les marchés, des inscriptions sur les murs, des distributions de littérature clandestine.
Pendant ce temps, Tania s’inscrit à la Sorbonne en mathématiques.
Tania n’a que peu participé à la vie politique ; ce qui lui importait vraiment, c’était ses études. Tania était une très belle femme ; brune, yeux noirs aux reflets dorés, pommettes saillantes. Et Tania était d’une grande intelligence. Elle adorait les hommes ; et ne laissait aucun homme indifférent. Et elle détestait les femmes. FLL, qui était en zone libre, l’invita à le rejoindre en lui promettant d’assurer ses conditions de vie. Mais elle ne donna pas suite à cette proposition.
Durant l’incarcération d’Annette et de Georges, Tania quitta Paris, et laissa MN se débrouiller seule avec sa mère et Georges emprisonnés, auxquels il fallait porter le linge à changer et des colis de vivres pour lesquels aucun ticket n’était alloué. MN avait dû quitter l’école de dessin où elle venait de commencer ses études et devait gagner sa vie. Tania avait trouvé un travail de barmaid à Deauville dans un bar réservé aux Allemands sur la côte interdite. MN se faisait un très grand souci pour Tania qu’elle craignait de voir transférée dans un bordel en Allemagne. MN avait toujours eu une profonde admiration pour sa sœur, et bien qu’étant sa cadette, elle se sentait responsable de Tania. Mais la divergence de vie était consommée. Elles avaient choisi des voies irréductiblement opposées dans ces années agitées.
Ibarra, jeune intellectuel et écrivain argentin se trouvait à Paris. Il cherchait une secrétaire. Tania est recrutéepour cette fonction et devient sa maîtresse. Nestor Ibarra, dit Jean Ibarra, était marié en Argentine et père de deux enfants. Au début de l’année 1942, Tania et Ibarra partent à Buenos Aires. Ibarra divorce (le divorce était alors légal en Argentine) et se remarie avec Tania. Ils auront deux enfants, Gabriel (le 25 janvier 1944) et Élisabeth (le 30 novembre 1945).
Maroussia, faisant preuve d’une extrême lucidité, fait comprendre à son mari en prison (il est resté un an à Poissy) qu’il ne doit surtout pas rentrer à Paris lorsqu’il aura purgé sa peine : il risquerait d’être instantanément repris par les Allemands. Elle arrange le voyage dès la sortie de prison et tous deux se retrouvent durant l’été 1941 dans la Sarthe, chez les parents nourriciers de Georges. C’est à ce moment que Guy Mocquet est exécuté comme otage à Chateaubriand. C’est à sa mémoire que Maroussia nommera Guy son fils qui va naîtra dix-huit mois plus tard.
Peu à peu, il apparaît à MN que les relations avec le PC ne sont plus normales : le PC ne semble plus leur faire confiance. En réalité, le PC évince tous ceux qui sont proches de Maurice Tréand, Responsable National des Cadres du PC, Maurice Tréand (surnommé Legros) est en effet à l’origine de la republication de l’Humanité en juin 1940, après négociation avec l’ennemi qui a exigé la lecture du journal par une commission de censure avant publication. Le Komintern exige en août 1940 la rupture des négociations avec les Allemands et Maurice Tréand sera la victime toute trouvée de contentieux personnels au sein de l’appareil communiste. Maurice Tréand est arrêté le 21 juin, ainsi que Valentine Roux, Denise Ginolin et Jeanne Schrodt. Or, comme cela est dit plus haut, Valentine Roux était la mère de Georges Grünenberger et la maîtresse de Maurice Tréand.
MN et Georges reviennent à Paris. À défaut d’activités contrôlées par le PC, ils se donnent le rôle d’héberger les camarades de « l’Organisation Spéciale » qui œuvrait à Paris (on l’abrégera ici l’O. S.) Ce furent les premiers attentats contre les forces d’occupation. Avec leurs deux cartes d’alimentation, ils nourrissent deux ou trois autres militants sans papier.
Leur vie, matériellement de plus en plus difficile, était cependant accompagnée d’une grande fraternité. Mais les restrictions pesaient lourdement, malgré l’aide financière d’Annette (Muttie) qui les aidaient toujours largement. MN est atteinte d’une tuberculose pulmonaire et part à La Ferté-Bernard dans un hôtel minable, mais où l’alimentation était suffisante.
Pendant ce temps, la police investit leur logement parisien (15, rue de la Goutte d’Or). Georges et MN se cachent à Cognac chez des sympathisants, mais l’état de santé de MN s’aggrave. Elle est enceinte et atteinte d’hémoptysies.
Ils ignorent ce que sont devenus les camarades qu’ils hébergeaient. C’est par le journal que MN apprend l’arrestation de Robert (David Grunberg), qui sera guillotiné. Tous leurs camarades sont peu à peu arrêtés et exécutés. Georges est déporté à Sachsenhausen-Oranienburg, près de Berlin : il y restera 28 mois.
FLL n’avait jamais cessé de donner de ses nouvelles par cartes interzones. Ils sont toujours restés en contact grâce à ce courrier mis à la poste depuis des lieux très divers.
Maroussia élève seule son fils Guy qui vient de naître (janvier 1943). FLL, qui est à Paris en 1943, en est tout naturellement le parrain laïc. MN voit régulièrement FLL à la librairie José Corti où il est employé. FLL y est comme chez lui, on pourrait le prendre pour le patron (MN ne rencontrera jamais José Corti). MN pense que FLL veut la protéger en ne lui confiant aucune mission.
La mère de MN travaille toujours à la Kommandantur.
Par ailleurs, tous les essais de MN pour reprendre contact avec le PC se soldent par un échec. Fin 1943, Jean, un ancien camarade des J. C., lui propose finalement le poste d’agent de liaison du Responsable Interdépartemental de Normandie Picardie (Albert Meunier, pseudo : Charles Boitard, délégué du Comité Central).
Le problème de la garde de Guy est déjà réglé : la sœur de Jean, dont le mari est déporté, élèvera Guy en même temps que sa propre fille.
MN informe Albert de ses démêlés avec le PC. Il n’y attache pas grande importance, mais assure que MN serait éliminée si le PC découvrait dans sa « biographie » des imprudences ou des trahisons ! MN est donc interrogée pour une « biographie » et acceptée sans problèmes pour ces fonctions de haute responsabilité.
Un jour, à Bonneuil, on donne à MN des documents à transmettre et on lui dit de transmettre l’information suivante : « Le dénommé Maroussia doit être éliminé ». Maroussia hésite, puis joue franc jeu et se présente comme étant la dénommée Maroussia. Elle ne sera finalement pas inquiétée. Albert la rassure en affirmant qu’il la défendra si cela est un jour nécessaire.
Mais Albert est tué à Noailles avec le Responsable F. T. P. de l’Inter 7 le 14 août et MN regagne Paris pour prendre les ordres du C. C. Il lui est enjoint de se mettre à la disposition du Cadre de l’Inter qui reprenait les fonctions d’Albert. Parvenue au poste de commandement, MN apprend son exclusion du PC (elle est exclue !), qui comprend pour elle le risque d’être abattue sur-le-champ. Les responsables des cadres et du Front National hésitent à appliquer cet ordre alors qu’on se battait déjà à Paris pour la libération.
Les hémoptysies de MN reprennent jusqu’à son retour à Paris où elle ne revoit jamais plus aucun de ses camarades de l’INTER 7. Elle est en effet mise au ban.
En mai 1945, FLL revient de Dora, dans un état très dégradé (il est notamment atteint d’un sévère diabète). Maroussia et sa famille s’occupent de lui régulièrement. FLL recherche un nouvel appartement : or il était très important que son appartement fût desservi par un bus, car de retour de Dora où il travaillait à l’intérieur d’une montagne, il n’aurait jamais pris le métro.
Mais aussi, au même moment, FLL est exclu du parti. MN, qui l’a appris dans l’Humanité, ne saura jamais exactement pourquoi ; son hypothèse est que FLL aurait été franc-maçon et que cela se serait su.
Habitant chez sa mère, MN est à Paris, vivante, mais sans métier, sans travail avec un fils de vingt mois à élever et les poumons malades. Considérée comme traître par les camarades du VIIème, elle ne peut compter sur aucun d’entre eux pour trouver du travail. Une amie de sa marraine, Madame Merle d’Aubigné, la recommande au Père Chaillet, responsable du COSOR (Comité des Œuvres Sociales de la Résistance), qui l’embauche comme assistante sociale au service des déportés dans le XIème et le IVème, grâce à la lettre de recommandation de Madame Merle d’Aubigné. Durant deux ans, jusqu’à la naissance de son deuxième fils (Luc), MN recevra les gens les plus démunis, leur rendra visite dans les quartiers les plus défavorisés de Paris, leur attribuant des allocations du COSOR. C’est dans ces services que Maroussia recevra de nombreuses confidences des déportés (ce qu’ils ne disaient pas à leurs proches, ils le confiaient volontiers à une assistante sociale).
FLL, quant à lui, ne parlera que très peu de Dora. Il dit toutefois ceci à Élisabeth, la fille de Tania : un jour, une couverture avait disparu. On fit passer les prisonniers un à un devant des gardes allemands. Les prisonniers reçurent des coups, FLL se protégea la tête avec son bras, lequel fut cassé. FLL pensa que, ne pouvant plus être utile, il serait fusillé. Mais on l’envoya à l’infirmerie où on lui sauva et le bras et la vie.
Revenu de camp au bout de 28 mois de déportation, Georges Grünenburger aura le même accueil glacé de la part du PC : une mise au ban. L’Humanité, où il travaillait auparavant, ne le réembauchera pas et ne lui versera jamais les deux ans d’indemnité auxquelles Georges a légalement droit. Georges sera finalement embauché à la RATP.
Enceinte de Luc en 1946, MN a de nouveau un problème au poumon. FLL l’envoie à ses frais se reposer à Bormes-les-Orgues.
MN aura un troisième enfant, une fille, Sonia, en 1948. En 2006 infirmière à Nyons, Sonia a demandé à sa mère de venir s’installer à La Pousterle, résidence pour personnes âgées, afin d’être tout près d’elle et de se faire soigner à Avignon.
Tania et Ibarra reviennent d’Argentine en 1946 et s’installent à Bessencourt avec leurs deux enfants. Ils divorcent bientôt (en 1947), et la garde des enfants est confiée à Ibarra. Tania redoute cependant qu’Ibarra reparte en Argentine avec les enfants ; elle les cache. Ibarra les retrouve et les met en pension à Paris. Alors Tania, à la sortie de cette pension, kidnappe sa fille Élisabeth qui désormais vit avec elle. Gabriel n’aura pas le même sort ; il sera en permanence ballotté entre ses parents.
Dans les années 1948-49, Maroussia est au sanatorium ; c’est là-bas qu’elle se rend compte que sa sœur et FLL semblent s’être rapprochés. Un an plus tard ???, Tania quitte Ibarra.
Et Tania s’installe bientôt (vers 1952) chez FLL, avec Élisabeth. Le 25 octobre 1952, FLL et Tania se marient. Ils vont bientôt déménager Route de la Reine à Boulogne (vers 1955 ou 56), la nouvelle demeure de FLL, très bel appartement en rez-de-jardin avec jardin privatif. FLL fait construire sur mesure des bibliothèques qui couvriront tous les murs de toute la maison (où la hauteur de plafond est de 3 m). Tania et sa fille resteront là environ sept ans. FLL est extrêmement pédagogue. On peut lui poser n’importe quelle question, il sait y répondre. Mais il ne parlait pas du passé, jamais de la guerre.
Cependant, FLL supporte assez mal Gabriel, qui était très turbulent. Gabriel avait de surcroît des tics, il faisait des bruits avec ses lèvres et avec ses doigts. FLL finira par mettre Gabriel à la porte. Un juge d’instruction, du nom de Lévy, camarade déportation de Georges, confie la garde de Gabriel à Maroussia et Georges.
Gabriel est donc placé vers 1961 chez Maroussia et Georges, qui l’élèvent quelque temps en plus de leurs propres trois enfants dans leur deux pièces. Gabriel est déjà drogué, complètement camé. André Kirschen (lui-même qui nous a fait retrouver la trace de Maroussia, lui qui est l’auteur du courriel au début de ce compte-rendu), dit Hank, (ancien combattant de l’O. S.) essaie de le faire travailler dans l’imprimerie, mais cette idée ne sied pas à Ibarra, qui « reprend » Gabriel.
Élisabeth a quelques souvenirs précis de ce que FLL racontait de lui :
- Avant même d’entrer à l’école, FLL savait déjà lire et lisait même le journal.
- La mère de FLL était pianiste : elle accompagnait la célèbre cantatrice Felia Litvinne (grande wagnérienne, soliste du czar dans les appartements duquel elle pouvait rentrer à toute heure du jour et de la nuit ; cette cantatrice était la marraine de FLL, à qui elle avait donné une photo de Wagner et une photo de Nicolas II dédicacées à Felia Litvinne). La mère de FLL connaissait Gabriel Fauré sur les genoux duquel FLL avait fait quelques séjours.
- Avant-guerre, FLL donnait dans des cafés où il leur donnait rendez-vous des cours de mathématiques à des étudiants.
- La marraine de FLL était chanteuse wagnérienne, mais FLL ne semblait pas aimer cette musique ni les voix d’opéra. Il admirait Mozart cependant.
- Il ne chantait pas mais sifflait juste.
- Il aimait beaucoup Schubert et admirait le quintette avec deux violoncelles.
- Il aimait également les derniers quatuors de Beethoven.
- Il possédait un grand nombre de partitions de poche (surtout de musique de chambre) : Élisabeth possède toujours ces partitions.
- Le dimanche après-midi, rue du Champ-de-Mars, FLL réunissait des amis pour écouter le concert à la radio dans la salle à manger.
- FLL aimait la musique expérimentale et emmena un jour Élisabeth écouter un concert de Xénakis.
- Une autre fois, il lui fit écouter du Bartok en lui disant : « Aujourd’hui, tu n’aimes pas cette musique, mais un jour, tu l’aimeras. » Il avait raison.
- FLL parlait de Pierre Henry, du morceau pour grincement de porte et soupir.
Tania et sa sœur ont des rapports difficiles et compliqués. Maroussia aura dans notre entretien de décembre 2006 la délicatesse de ne jamais dire du mal de sa sœur, mais nous comprenons à demi-mot combien les deux sœurs sont différentes, combien leurs horizons sont éloignés, opposés.
En 1956, Madame Naïtchenko meurt.
Tania essaie de soustraire ses deux enfants (Gabriel et Élisabeth) à leur père Ibarra. Elle a alors affaire à la justice.
Élisabeth est quant à elle placée en institut médico-psychologique, de fin 1964 à mi 1966.
Vers 1959, Tania descend vivre au sous-sol de l’appartement de la Route de la Reine, avec Élisabeth. Il y avait là un couloir, une « chambre », séparée par une armoire de la chaudière à charbon avec les sacs de charbon. Tania faisait la cuisine sur un camping-gaz ; on installe un lavabo et on emménage le lit de Madame Naïtchenko.
Puis FLL achète quatre petites chambres au sixième étage de la rue Sainte-Anne. Tania se sépare de FLL et va y vivre vers 1960. Elle a beaucoup d’amants. FLL, toujours amoureux de Tania, continue de lui faire parvenir des colis. Tania vend l’appartement de la rue Sainte-Anne et habite avec un de ses amants rue de l’Épée de bois. Plus tard, ils loueront une maison à Thomery, près de Fontainebleau, alors même que Tania travaille à Framatome (à la Défense).
Ibarra hérite de la fortune (immense) de son père. Gabriel va mal, il doit aller en maison de correction. Or Ibarra avait été marié en Argentine et y avait déjà des enfants (lesquels héritent naturellement de leur grand-père).
FLL travaille depuis un certain temps à l’UNESCO. Au début des années 1960, il prend sa retraite. On lui donne alors le choix entre une retraite mensuelle ou un capital. Il choisit le capital et achète la maison de Boulogne, route de la Reine, qui va devenir sa demeure jusqu’à sa mort.
Georges Grünenberger, le mari de Maroussia, décède en 1981.
FLL décède en 1984. Tania vend la maison de Boulogne et tous les biens, malgré la tentative de l’Oulipo de faire conserver la bibliothèque intégralement par la ville ou le département.
Gabriel, alcoolique depuis longtemps, puis drogué, meurt en 1985 à l’âge de 40 ans.
Ibarra meurt en 1986.
L’ancienne famille argentine d’Ibarra recherche Tania.
Pendant ce temps, Tania revoit Jacques d’Andurain, un communiste, et l’épouse (en 1990). Elle met toute la fortune d’Ibarra au nom de Jacques, déshéritant du coup sa propre fille et vit avec Jacques jusqu’à son décès (à elle), en 1999. Il aura été son premier amant (alors qu’il était chef de section au PC en 1937), et son dernier mari.
En 1991, Maroussia retrouve Albert Ouzoulias, dit « Colonel André », responsable national de l’O. S. et des F. T. P. (plus tard conseiller municipal de Paris et maire de Palisse). C’est enfin de sa bouche que Maroussia apprend, cinquante ans après les faits, les raisons de sa mise à l’écart, puis de son exclusion du PC. La proximité de Georges et de Maurice Tréand (Georges était l’agent de liaison de Tréand) en était la cause, et l’affaire de la republication de l’Humanité avec accord des Allemands avait tout déclenché. Le PC avait tout simplement fait un grand ménage, mais sans le moindre souci d’explication ni de clarification. Georges sera mort sans savoir pourquoi le parti, qui était la part fondamentale de sa vie, l’aura exclu.
Aujourd’hui, en 2007, il arrive à Élisabeth Schmidt, la fille de Tania et Ibarra, de rêver du passé : le seul qui surgisse alors dans ses rêves est FLL. Ce sont toujours de beaux rêves, et ils se déroulent dans la belle maison de Boulogne, route de La Reine.
En 2003, Maroussia se met à écrire ses souvenirs de guerre. Cet énorme manuscrit et ce témoignage étonnant séduisent Gilles Perrault et André Rossel-Kirschen ; le récit, amputé de 70% de son contenu, devient le livre Une jeune fille en guerre, de Maroussia Naïtchenko, aux éditions Imago.
Superbe accomplissement de celle qui a volontairement séché l’école et n’a pas passé son certificat d’étude pour servir l’humanité.