Iqaluit, le 4 mai.

Je bois un thé dans un bar.

A côté de moi, deux enfants jouent.

Les enfants jouent. Ils ont toujours joué.

Autrefois,ils jouaient nus dans l’igloo où il faisait trois degrés.

Avec un igloo minuscule qu’ils taillaient avec le couteau du père.

Avec un bilboquet formé des os d’épaule d’udjuk et qui s’appelait un aeyigark.

Avec un petit harpon en bois de caribou.

Ou parfois même, avec une vraie poupée aux vêtements cousus par la mère, et dont le père avait sculpté la tête dans la stéatite ou l’os d’un caribou. Une vraie petite personne, un inujaq, et pas seulement une pierre enveloppée de fourrure que les petites filles berçaient comme un bébé.

Aujourd’hui, les enfants des Inuits ne fabriquent plus leurs jouets. Leurs parents les achètent au  supermarket du block,  et ils vont s’entasser dans le coffre à jouets :

Un jeu électronique GameBoy, marchant sur piles et made in Japan.

Une poupée blonde type Barbie à laquelle manque un bras.

Un dinosaure articulé en plastique avec son remontoir.

Un SpaceRanger cassé à tête interchangeable.

Une batte de base-ball et deux balles en imitation cuir.

Une vingtaine de briques colorées d’un jeu de construction par emboîtement.

Une Jeep et une Cadillac miniatures, made in China.

Un revolver en plastique type Colt et un fusil de martien jaune et rouge.

Je n’ai ni la nostalgie de la pierre, ni celle de la fourrure. Je n’ai pas de nostalgie. Je m’en méfie, comme je me méfie de la colère, de la peur, et du désir. Et j’ai eu la force, pour la première fois depuis longtemps, de regarder des enfants.

Je t’embrasse.

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Vidéogramme de Jean-Baptiste Decavèle