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Livres Hebdo  : « Canard à la portugaise »

Complexe et énigmatique, un lointain remake de l’Odyssée.

Si l’on en croit l’auteur, l’éclectique, prolifique et discret Hervé Le Tellier, il aurait projeté d’écrire, avec cet Electrico W, une sorte de remake de l’Odyssée d ‘Homère. Avec, dans le rôle d’Ulysse, un certain Antonio, ancien photographe en temps de guerre qui retrouve Lisbonne, sa ville, en 1985, dix ans après l’avoir quittée. Sauf qu’il ne vient pas y rejoindre une Pénélope, mais Vincent, le narrateur, correspondant d ‘un journal français dans la capitale portugaise. Les deux amis sont censés enquêter sur un tueur en série, Pinheiro, dont le procès est sur le point de s’ouvrir. Et l’accusé va se révéler un être complexe, fasciné par l’astronomie et la mécanique céleste.

Mais, comme celles d’Ithaque, les soirées lisboètes paraissent un peu longues. Vincent, qui songe à écrire un roman, s’exerce, en attendant, à traduire les 1 073 Contos Aquosos, courts récits absurdes d’un poète inconnu qui signe Montestrela, ou encore Jaime Caixas. Des textes pré-Oulipo (Le Tellier en est) et un jeu de dédoublement qui auraient enchanté, en son temps, le grand Pessoa. Quant à Antonio, il raconte à son ami son amour de jeunesse pour une jeune fille surnommée « Canard ». C’était dans les années Salazar, la morale était rigide, et les préservatifs rares. Enceinte, Canard, violemment reniée et chassée de chez elle par son père, avait disparu avec leur enfant. Serait-ce cette femme que, fasciné par l’histoire, Vincent finit par retrouver non loin de chez lui ? A moins que ce ne soit qu’un hasard, une suite de coïncidences. Antonio est un garçon bien mystérieux, Vincent aussi, d’ailleurs. Il leur faudra longtemps pour s’avouer que l’un est amoureux, et que l’autre l’a été (sans réciprocité), d’une même femme, la ténébreuse Irène, justement de passage à Lisbonne. Tandis que, dans les serres du jardin botanique, la jeune et mystérieuse Aurora organise des fêtes décadentes.

Servi par une écriture d’un beau classicisme, Eléctrico W (du nom d’une ligne de tramway) est un roman tout en trompe-l’œil, où un auteur brillant joue sans cesse avec son lecteur. Quant à l’atmosphère de Lisbonne, cette saudade si particulière, elle est rendue avec un charme envoûtant. A défaut d’Homère, Hervé Le Tellier nous invite à relire Pessoa, lui-même grand amateur de poésie grecque antique.

Jean-Claude Perrier, Livres Hebdo, le 24 juin 2011

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France Culture  : « A propos des commencements »

Les « Bonnes feuilles » de la rentrée littéraire, proposées par Sandrine Treiner. Trente minutes d’entretien, où l’auteur lit le prologue et le début du premier chapitre, et répond sur la question du « commencement » d’un roman. 

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Entre les lignes : « l’écriture en jeu, en question, en perspective »

Une heure d’entretien avec Jean-Michel Meyer

"Sans vouloir me vanter, je ne parle pas portugais. C’est pourquoi j’entretiens avec la ville de Lisbonne une relation presque amoureuse, nullement entravée par une quelconque barrière de la langue". Hervé Le Tellier entame ainsi, sur le ton de l’humour, la présentation éditoriale de son dernier roman « Eléctrico W », où il est question effectivement de relations amoureuses et de contraintes littéraires.

Normal, Hervé Le Tellier est membre depuis 1992 de l’OULIPO (l’ouvroir de littérature potentielle), auquel il a d’ailleurs consacré un ouvrage de référence : Esthétique de l’Oulipo, publié aux éditions Castor Astral. Rappelons que ce groupe, « aux réunions duquel sont désormais excusés Georges Perec, Italo Calvino ou Raymond Queneau", réunit depuis 1960 écrivains et scientifiques, épicuriens, savants, tous amateurs de jeux formels et de contraintes littéraires.

Hervé Le Tellier a le profil de l’emploi : il a été mathématicien, parachutiste et critique culinaire. Il est l’un des fondateurs du désormais célèbre cercle des « amis de Jean-Baptiste Botul », dont le renom doit beaucoup à l’imprudence de Bernard Henri Lévy. Enfin, Hervé Le Tellier est aujourd’hui enseignant et docteur en linguistique, homme de radio et chroniqueur au journal Le Monde. Et avec tout cela, excellent écrivain, comme en témoigne, notamment, Eléctrico W, son dernier roman publié chez JC Lattès.

Eléctrico W  : l’auteur dit avoir choisi son titre parce qu’il désignait une ancienne ligne de tramway de Lisbonne. Peut-être. Aux familiers de Georges Perec, "W » rappellera en tout cas un étrange et émouvant récit autobiographique : W ou le souvenir d’enfance. La lettre y avait aussi valeur d’icône. Etoile de David inversée, notamment, chez Perec. Rails parallèles, aiguillage, sans doute, chez Le Tellier.

Au départ, un motif simple. Deux collègues, l’un photographe, l’autre écrivain se retrouvent à Lisbonne. Ils doivent travailler sur le procès d’un meurtrier en série. Durant les neuf jours de leur séjour naîtra le manuscrit d’un roman dont ils sont eux mêmes les personnages. Enfantement prolongé par 25 ans de gestation. Car l’histoire qui se passait « en septembre 1985, où la terre trembla à Mexico et où mourut l’écrivain Italo Calvino » ne sera publiée qu’aujourd’hui, nous dit le narrateur.

Au départ, un schéma amoureux bien connu : A (Vincent) aime B (Irène, une collègue) qui aime C (Antonio). Pour servir ses propres intérêts (récupérer B), Vincent tentera de retrouver l’amour d’enfance de son ami. Si le canevas semble celui d’un roman ou d’une comédie classique, l’auteur et avec lui ses personnages ne cessent de s’écarter des rails bien parallèles de l’intrigue principale. La vie, l’écriture prennent des chemins de traverse. Enfin, l’écriture est toujours en jeu, en question, en perspective ; l’histoire ponctuée, entrelacée d’autres histoires qui se répondent.

On n’oubliera pas, par exemple, le destin de l’Okavango. Prenant sa source en Angola, ce puissant fleuve africain plus large et puissant par endroits que le Rhône ou le Tage, longe la Namibie avant de pénétrer dans le Botswana. C’est là qu’il rencontre le désert du Kalahari. Il n’atteindra jamais la mer.

« Chaque jour », conclut le narrateur d’Eléctrico W, au terme d’un parcours où il aura tenté d’agir sur le destin, de corriger le cours d’une vie, « je regarde la carte de l’Okavango, ce fleuve qui ne sait pas trouver le chemin de la mer ». 

Entretien, lectures et réalisation par Jean-Michel Meyer

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24 heures

24 heures : « Une belle machine à rêver, sentir et penser ».

Avec Eléctrico W, Hervé Le Tellier conjugue blues existentiel et fiction subtilement «chiffrée» dans la mouvance de Perec et de l’Oulipo.

La sensibilité affective nuancée et les jeux cérébraux ne font pas toujours bon ménage, si ce n’est chez ces grands «marieurs» du Sentiment et de l’Idée que furent un Georges Perec, un Italo Calvino ou encore un Borges et un Cortazar. On pense aussi à Antonio Tabucchi en lisant ce roman plein de nostalgie et de malice numérologique, où se glisse furtivement le nom d’un certain Pereira…

C’est en somme le roman des amours impossibles – dont ici celui de deux adolescents, interdit par les conventions – et des destinées jumelles qu’Eléctrico W. Le titre fait allusion à un funiculaire jaune et blanc que le lecteur familier de Lisbonne se rappellera sûrement avoir pris, même si c’est dans un rêve… Tout se passe d’ailleurs ainsi dans cette remémoration de neufs jours vécus, en 1985, par le journaliste-écrivain Vincent Balmer et son ami photographe Antonio Flores. Ils sont réunis «sur» le procès d’un présumé tueur en série, et par bien d’autres choses plus importantes encore, où diverses femmes jouent divers rôles, sur fond de Portugal catholique.

Truffé de références poétiques et construit comme une belle machine à rêver, sentir et penser, ce roman séduit. Il fascine par sa musique mentale dont la substance serait le temps que nous vivons, qui nous comble parfois, nous use aussi pas mal et nous tue même dans les livres. Avec un épilogue à valeur de bilan doux acide qui n’épuise pas le charme des jours écoulés.

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Fémina : « Une des voix de la rentrée »

A Lisbonne capitale mystérieuse et décalée, le fantôme de Pessoa semble guider les pas d’un narrateur nostalgique. La mort d’un père, un chagrin d’amour qui peine à s’effacer, le désarroi d’un écrivain en mal d’écrire, un ciel d’étain pesé sur ce roman de poète. Instantanés d’émotions. Pensées secrètes à la lisière du songe. Rêves d’un bonheur qui se dérobe. Antonio, Vincent, Irène, Aurore, Manuela chacun se cherche et s’interroge a la croisée des chemins. Les amours se manquent, se disputent, se perdent, mais s’épanouissent rarement. Comme sur la ligne du tramway (l’Electrico W), les rendez-vous tiennent surtout du hasard ou de la chance. Cette écriture intimiste se garde des clichés. La construction, subtile, repose sur les points de vue alternés des divers personnages. On reconnaît le ton amer à la fois distant et douloureux de l’auteur d’Assez parle d’amour. Hervé Le Tellier est une des voix de la rentrée.

Dominique Bona, le 24 octobre 

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Le nouvel observateur : « Roman magnifique, un peu trouble »

Un photographe et un journaliste se retrouvent à Lisbonne pour un travail commun. Tout leur passé, leurs amours défuntes remontent à la surface et voudraient reprendre du service… En grand pérecquien, Le Tellier a écrit une sorte d’ « Electrico W ou le souvenir d’adulte ». Roman magnifique, un peu trouble, où les souvenirs de l’un deviennent les rêves de l’autre, où le temps semble travailler dans tous les sens, comme s’il s’était emballé, déréglé. Mais n’est-ce pas ainsi qu’il travaille toujours ?

Jacques Drillon, le 6 octobre

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Encres Vagabondes : « Gravité et humour »

(…) Le roman explore l’intime des êtres tout en parlant des problèmes du monde, de la guerre, de la pauvreté, de la lâcheté, de la Shoah, de la mort des parents et des relations familiales… Les souvenirs se mêlent au présent pour constituer l’architecture de chacun.
L’écriture d’Hervé Le Tellier allie gravité et humour. Les références littéraires, picturales, cinématographiques et musicales ponctuent le roman. Vincent évoque de nombreux écrivains qui font partie de son univers : « Oui, par fétichisme, superstition ou sottise, j’écrivais sur les mêmes cahiers que Romain Gary sans arriver à aligner plus que quelques mots. » Fernando Pessoa, l’écrivain aux multiples facettes, est évoqué. Vincent est aussi bouleversé en apprenant la mort d’Italo Calvino décédé en septembre 1985 et qui a joué un rôle important pour lui. La littérature est un élément essentiel qui nous mène vers différentes pistes. Tout un passage sans ponctuation nous fait penser au roman d’Albert Cohen, Belle du Seigneur.

Chaque chapitre commence par un prénom ou un nom ce qui peut marquer la quête d’identité et d’affirmation de la personnalité, en filigrane du roman : Qui est qui ? Qui est-on vraiment ?

Membre de l’Oulipo, Hervé Le Tellier joue avec les mots et les constructions pour produire un roman où son approche personnelle donne vie à des personnages très attachants en quête d’eux-mêmes mais toujours ouverts aux autres et au monde qui les entoure. 

Lire l’intégralité de la critique de Brigitte Aubonnet sur le site d’Encres Vagabondes.

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Le Soir : « Une ligne de tram à Lisbonne »

(…) Le livre a été commencé il y a longtemps. En 1992 ou 1993, précise l’auteur. « Le point de départ, c’était l’idée d’un homme qui veut rentrer chez lui après des années d’absence et qui, en neuf jours à Lisbonne, reparcourt L’Odyssée. Puis je me suis un peu éloigné du projet, tout en gardant l’aspect de roman initiatique, éclairé par le moment lumineux où António et Canard font connaissance. »

António, devenu photographe, est de retour dans sa ville d’enfance pour suivre un procès avec Vincent, le narrateur. A celui-ci, il a raconté sa lointaine rencontre avec Canard, qu’il a aimée. Et que Vincent décide de retrouver.

Les deux personnages principaux développent leur complémentarité : les mots pour l’un, les images pour l’autre. C’est pourtant une image qui suit Vincent, une carte du delta de l’Okavango, ce fleuve africain qui n’arrive pas jusqu’à l’océan. Pour le romancier, « l’Okavango est la métaphore des deux personnages, dans leur incapacité à aller au bout de leur destin, pour l’un devenir un auteur en écrivant son roman, pour l’autre réaliser, comme homme, son amour d’enfance ».

De ces destins inaboutis, Le Tellier a tiré un livre qu’on suit comme si on était placé sur la ligne Eléctrico W.

Lire l’intégralité de la critique de Pierre Maury sur le site du Soir. 

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Femmes d’aujourd’hui : La rentrée littéraire, nos nec plus ultra

ÉLECTRIQUE CITÉ

Lisbonne, automne 85. Vincent a quitté Paris pour s’extraire des griffes d’Irène, une jolie chipie sans scrupules. Son journal l’ayant chargé de couvrir le procès d un tueur en série, il s’adjoint les services d’Antonio. Photographe d’origine lisboète, ce dernier profite de ce retour aux sources pour raviver le souvenir de son premier amour, rencontré au terminus du fameux tramway Eléctrico W. Vincent se met en tête de retrouver la jeune fille et de réparer les erreurs du passé. Mais l’arrivée inopinée d’Irène et l’apparition d’une jeune musicienne fantasque compliquent singulièrement la donne… Hervé Le Tellier exalte l’atmosphère mélancolique du Rossio et de l’Alfama d’une plume magistrale. À lire au rythme d’un fado de Mariza pour une félicité absolue.

Myriam Berghe

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Woxx : « une cathédrale entière à la renverse sur une petite face d’un bijou »

(…) « Eléctrico W » est avant tout une histoire nouée autour du sentiment amoureux : deux personnages, Vincent, le narrateur et Antonio, se rencontrent en 1985 à Lisbonne. L’un est journaliste, l’autre photographe. Ensemble, sur une période de neuf jours, ils devront couvrir le procès d’un meurtrier en série aussi mystérieux que déjanté, un certain Pinheiro. Pourtant, cette trame n’est en fait qu’une fausse piste, car derrière elle se cache une histoire de femmes. Celle de Canard, l’amour de jeunesse qu’Antonio a connu et perdu dans les rues de Lisbonne et celle d’Irène, la collègue qui a rejeté l’amour de Vincent, qui s’est exilé à Lisbonne à cause d’elle. Sont-ils pour autant des ratés ? Selon l’auteur : « Ce ne sont pas tout à fait des ratés, ce sont des gens moyens. Des gens blessés qui ne peuvent pas aller au-delà de leurs blessures et qui - bon, c’est vrai - vont tout de même d’échec en échec. Mais il reste une toute petite nuance psychologique entre un raté et des gens qui vont d’échec en échec. Même si c’est vrai que ce sont des personnages qui n’aboutissent jamais. Comme le montre aussi la métaphore du fleuve Okavango - dont Vincent est fasciné - qui revient plusieurs fois dans le livre : le seul fleuve du monde qui ne se jette pas dans la mer, mais s’échoue dans le désert infranchissable. Pour Vincent, le désert est avant tout créatif, il n’arrivera pas à écrire autre chose que le livre qui est entre les mains du lecteur. Alors que dans le livre, il revient tout le temps sur un projet de roman au sujet de Péchin d’Herbinville. Quant à Antonio, c’est le désert affectif dans lequel il erre. Il peut être séduisant et attirer les femmes, mais à partir d’un moment il n’arrive pas à assumer à devenir l’homme d’une femme même si celle-ci l’a choisie. Il échoue deux fois, une fois dans son passé avec Canard, et on le voit pendant les neufs jours répéter cet échec avec une autre femme, Aurora ».

En fait, pendant leur séjour commun à Lisbonne, qui ne dure pas neuf jours par hasard, le nombre neuf étant celui du renouveau, aucun des deux n’arrive à renaître, mais revit et répète plutôt son échec.

Pourtant, pourquoi écrire un roman sur l’échec ? « On ne peut pas écrire que des romans sur les trains qui arrivent à l’heure », répond Le Tellier. « Une grande partie de la vie est faite d’échecs. Une grande partie, voire même la totalité de l’apprentissage de l’homme se fait sur les échecs. On n’apprend pas de ses réussites, sinon ça se saurait. Ecrire un livre sur les échecs, pour un écrivain, c’est apprendre soi-même à ne pas les répéter, c’est apprendre les faits autrement. Confucius disait, je crois : Apprends de tes échecs, apprends de tes erreurs, mais apprends aussi de celles des autres, parce que tu n’arriveras pas à les faire toutes ». En somme, on est dans l’exorcisme des échecs personnels, « ou plus encore catharsis », comme le remarque Le Tellier. Et on est loin soudainement des expérimentations et jeux de mots qui font l’Oulipo par ailleurs. Et pour cause : « C’est un livre qui a maturé 18 ans. Ce qui pourrait surprendre plus d’un lecteur d’ailleurs, car ce n’est pas un livre qui donne l’impression d’avoir été écrit avec un tel hiatus. A l’époque, j’avais déjà quelques idées fortes en tête, la métaphore du delta de l’Okavango par exemple - je voulais appeler le livre ainsi au début, mais finalement, ç’aurait été trop « houellebecquien » -, ou l’errance du personnage principal. Et aussi l’idée des deux fausses pistes dans le livre, celle du tueur en série et celle de Canard, que je voulais utiliser pour raconter autre chose, notamment l’histoire du retour impossible vers le passé ».

(…) Si on devait décrire le style d’Hervé Le Tellier dans « Eléctrico W », le plus facile serait de le comparer à certains tableaux des grands maîtres flamands, qui eux n’hésitaient pas à faire refléter une cathédrale entière à la renverse sur une petite face d’un bijou. Juste que l’« Eléctrico W », ça bouge en plus. (…)

Lire l’intégralité du portrait et de la critique de Luc Caregari sur le site de Woxx

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