Image1@ 1 La lecture colonialiste de ce soir et de l’Oulipo a lieu en l’absence de Paul Fournel, son président et de Marcel Bénabou secrétaire désormais et dorénavant à la fois Définitivement Provisoire et Provisoirement Définitif. Cette absence remarquable, remarquée, étonnante, troublante, surprenante, inattendue, et pour tout dire inquiétante est due à des circonstances graves que l’ouvroir m’a chargé, moi, vieil oulipien de base, de vous expliquer. Ce n’est pas sans quelque hésitation, renforcée par la conscience taraudante de la responsabilité qui pèse sur mes épaules, alourdies du sentiment aigu de mon inadéquation profonde à la tâche que me confie l’ouvroir, que je vais tenter brièvement, compendieusement même de m’en acquitter.

Fin du préambule : 784 caractères, espaces compris. (une fois notée cette indication, on atteint en fait 873 caractères exactement).

@ 2 En 1929, on découvrit, dans le grenier de la maison du grand relieur et imprimeur Christophle Plantin qui allait être transformée en musée (la maison, pas l’imprimeur) une malle bourrée de documents paisiblement oubliés depuis la fin du seizième siècle qui démontraient de manière indubitable l’appartenance de Plantin à une secte mystérieuse, la Famille d’Amour. Pour vous rendre au musée Plantin-Moretus (Moretus, grand imprimeur lui-même, avait épousé une des filles Plantin et se trouvait, de ce fait, être son gendre), vous prenez un train de la marque Thalys à Paris, Gare du Nord, vous descendez à la gare centrale d’Anvers. En face de la gare vous empruntez la rue De Keyserlei jusqu’à la Tenier Place ? Vous continuez tout droit … (si j’avais un projecteur je pourrais vous montrer sur le plan de ville)

@ 3 Le but de la secte dont je parle, née au plus fort des troubles créés en Europe par la Réforme, était de promouvoir la paix universelle et l’harmonie générale entre les peuples par l’exercice de la liberté de conscience. Ils se refusaient à choisir, sinon intérieurement, et chacun pour soi, entre les différentes formes de religion présentes sur le marché. Mais ils ne se ‘démontraient pas’, comme on dit à Carcassonne. Plus prudents encore que Rabelais qui recommandait de défendre ses idées ‘jusqu’au feu exclusivement’, ils allaient à la messe en pays catholique, au temple dans une ville luthérienne, à la mosquée à Istamboul etc. et ils vaquaient tranquillement à leurs occupations respectives. Parmi lesquelles Plantin, désireux de répandre la bonne parole, de recruter des adeptes et accessoirement de faire prospérer son entreprise, imagina de mettre en chantier une Bible Polyglotte à laquelle collaboreraient des savants de toutes confessions et qui serait vendue partout. Comme Anvers appartenait à l’époque au Roi d’Espagne celui-ci, roi éminemment catholique, envoya auprès de Plantin son propre confesseur, le très savant Arias Montano, afin qu’il s’assure de l’orthodoxie de l’entreprise. Arias Montano vint et fut converti par Plantin à la Famille d’Amour. Il assura le roi Philippe que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes chrétiens possibles. La Bible Polyglotte fut imprimée et Plantin prospéra.

@ 4 L’histoire de la secte n’est qu’imparfaitement connue, et je ne vais pas pouvoir la raconter ici. On sait ou on soupçonne l’affiliation ‘familiste’ secrète de bien des grands noms de la science de la pensée, de la littérature et des arts (Montaigne, Giordano Bruno, Christopher Marlowe, Rubens, Robert Hooke, Spinoza, Bayle, David Hume, d’Alembert, Hugo Vernier, … , par exemple). On sait, ou on soupçonne, qu’à chaque époque la secte a été placée sous l’autorité d’un Grand Maître.

@ 5 En 1960 François Le Lionnais fonda l’Oulipo, dont l’histoire officielle est bien connue. Ce qui l’est moins et doit être dit pour comprendre les événements graves dont je vous parle ce soir, c’est que la tâche de l’Oulipo et de tous les Ou-x-pos (x étant une activité humaine quelconque) dont l’Oulipo constituait la première manifestation, était, dans l’esprit de son fondateur, de promouvoir, par l’épanouissement de la Potentialité, par l’exercice librement consenti de la contrainte, la paix universelle et l’harmonie générale entre les peuples. Dans ces conditions on comprend que dès sa fondation l’Oulipo ait attiré sur lui l’attention des services secrets des grandes puissances. Les anglais tirèrent les premiers et réussirent à introduire un agent de l’Intelligence Service, Noel Arnaud, dans le groupe des fondateurs. Le Kgb suivit, parvint à faire coopter très rapidement une de ses meilleures recrues, Paul Braffort. Les USA étaient très en retard et ce n’est qu’après une bonne douzaine d’années qu’un de leurs plus brillants éléments devint membre de l’OUlLIPO : Harry Mathews. (Et les services français, me direz-vous ? Les services français, cela ne suprendra personne, se sont pas encore rendu compte de l’existence de l’Oulipo). Et que se passa-t-il ? Successivement Noel Arnaud, Paul Braffort et Harry Mathews furent convertis par François Le Lionnais et participèrent à la désinformation systématique de leurs services respectifs.

@ 6 Seulement voilà, la gigantesque lutte anti-terroriste menée par les USA à l’échelle de la planète les a ramenés après des années de négligence, sur la piste de l’Oulipo. L’Oulipo en effet, exerçant son activité et son influence (sans cesse croissante) sur la totalité du globe, n’apportant son soutien à aucune religion, à aucun régime politique, agissant d’une manière essentiellement non-terroriste est évidemment beaucoup plus dangereux que tout groupe terroriste. Prenant conscience de ce fait, et se rendant compte, un peu tard, de l’activité réelle de Harry Mathews, qui avait été ‘retourné’ par le Président Fondateur de L’Oulipo, la CIA a décidé de passer à l’action. Et la nécessité de l’action lui est apparue quand la parution du livre de Harry ‘My Life in Cia’ a été annoncée. De gros efforts pour en empêcher la publication aux USA ont été réduits à néant par le coup brillant de Harry lançant le mois dernier la traduction française sur le marché avant la version originale. La décision a été aussitôt prise, au plus haut, niveau de décapiter l’OUlipo

@ 7 Le président de l’Oulipo a été attiré dans un guet-apens. Le vélo qui lui avait été prêté pour une ballade le long du Bosphore a été saboté. L’attentat a échoué. Le président Fournel a survêcu, mais une fracture du bassin lui interdit d’être parmi nous ce soir.

@ 8 Pour notre secrétaire un empoisonnement au curare avait été décidé. Mais les comploteurs ignoraient ce qu’ils auraient dû savoir, s’ils n’avaient pas été d’une ignorance crasse : que Marcel Bénabou, éminent spécialiste d’histoire grecque et romaine, était évidemment et de longue date mithridatisé. Il n’a subi qu’une indisposition passagère.

@ 9 Merci de votre attention