Cher Monsieur La Fontaine,

Je me permets de vous contacter sur les recommandations d’un ami, Monsieur Jean-François Corbeau, pour qui vous avez été naguère de bon conseil.

Je suis en effet dans une situation qui me semble fort mal engagée auprès d’un individu d’assez mauvaise foi et qui me semble mal intentionné. Mais voici les faits.

Je me promenais dans la forêt, non loin de la demeure de mes parents. Soudain, j’eus un peu soif. Je me dirige vers un ruisseau et je me mets à boire. Survient alors un loup, dont je ne crois pas dire du mal en affirmant qu’il cherchait l’aventure.

Alors que je ne m’adressais pas à lui, il me dit alors : « Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? »

J’ai été très surpris de son agressivité. En effet, je buvais plus de vingt pas en dessous de lui (je vous joins un plan des lieux, je suis à l’endroit marqué A, le loup est à la position B, et le sens du courant est indiqué par la flèche. Il est donc en amont et je ne puis le troubler d’aucune manière.)

Je lui réponds donc, de la manière la plus courtoise possible, en usant même de formules que je pourrais qualifier de courtisanes : « Sire, que votre Majesté ne se mette pas en colère », etc., et je lui présente mes arguments.

Il me répond que je le dérange, et, alors, tenez-vous bien, que j’aurais « médit » de lui « l’an passé ».

Or, Monsieur La Fontaine, il se trouve que l’an passé, je n’étais même pas né. Alors, je vous le demande, comment aurais-je pu faire pour médire de lui ? Je vous joins d’ailleurs également ma carte d’identité et mon extrait de naissance, à toutes fins utiles. Voici d’autre part une photographie prise hier, et où je suis avec maman, qui prouve que je tête encore ma mère. La brebis aux petites pattes noires, c’est maman, et en dessous, c’est moi.

Pour revenir au loup, il me répond alors une chose incroyable : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ». Vous avez bien entendu.

Or, il se trouve que je n’en ai pas, moi, de frère. C’est quand même incroyable. J’ai bien dans la famille un cousin qui a mal tourné, une brebis galeuse, mais je ne l’ai jamais rencontré. Je crois qu’il habite dans le Var, où il a obtenu un poste d’adjoint de mairie.

Voilà où nous en sommes, Monsieur La Fontaine. Je profite d’une tirade un peu longue de cet individu où il est question des « bergers et des chiens qui ne l’épargneraient guère » pour vous envoyer cette lettre. Je sais, par Jean-François Corbeau, que vous connaissez bien la psychologie de ce Monsieur Loup, puisque vous l’avez évoquée à plusieurs occasions, en particulier dans des textes où il est en compagnie d’un chien, d’une chèvre et d’un chevreau, d’une cigogne, d’un lion et d’un renard, et j’en passe.

Auriez-vous donc l’amabilité, sitôt ce courrier reçu, de vous mettre en contact avec Monsieur Loup, dont l’animosité à mon égard est tout à fait injustifiée, et de faire ce que ce peut afin d’apaiser notre différend. Je ne doute pas qu’il ne vous échap pera pas, à vous, qu’être le plus fort ne lui donne nullement raison pour autant.

Bien à vous,

Lambert Lagneau. pcc Hervé Le Tellier

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