New York

                               Cher Jacques,

Je suis non seulement content mais très soulagé par ton exposé; je pense en effet avoir eté la première victime des efforts des services d’intelligence pour mettre l’Oulipo hors de combat (pacifique). Il y a quatre ans, au moment où j’ai entrepris la rédaction de Ma Vie dans la CIA et que j’ai fait la bêtise de parler de mon projet à tout venant, j’ai reçu un petit pot de caviar d’un soi-disant admirateur anonyme. La provenance n’était pas indiquée mais la qualité était bonne, et je l’ai consommé avec plaisir (heureusement Marie était absente en ce moment-là). Deux semaines plus tard j’ai ressenti mes premières douleurs lombaires, les mêmes qui en augmentant ont fini par me rendre incapable de marcher et qui m’auraient certainement achevé si par chance je n’avais pas gardé le pot en question, vide certes mais conservant suffisamment de traces de son contenu pour permettre une analyse chimique : celle-ci a revelé une forte dose de « moutarde de singe », nom donné dans le métier au produit dont la formule chimique est As3CCL3CHO et qui s’attaque aux nerfs reliés à la colonne vertébrale. Par bonheur on m’a tout de suite signalé un antidote efficace qui m’a sans doute preservé du pire et que par précaution j’ai pris sans interruption depuis cette époque néfaste : il s’agit d’ingurgiter un minimum de 2 litres de vin (blanc ou rouge) par jour. C’est une servitude certes, mais je l’ai supporté volontiers.        J’ai evité de parler de cette affaire ne voulant pas semer la zizanie dans notre susceptible compagnie. Tu as enfin revelé le fond des choses, et je peux respirer à nouveau. Je te remercie de tout coeur.

                                                                    ton devoué serviteur

                                                                            Harry