Comme il faisait une chaleur dont on n’avait, trop accablés, plus le courage d’évaluer le combien de degrés, les fenêtres du nouvel appart’ de HLT étaient ouvertes, côté rue comme côté cour.
L’Oulipo était nombreux à cette réunion. Si l’on avait eu le courage de compter l’Oulipo comme on compte un alexandrin ou comme on compte un troupeau…
Mais, jamais on n’avait eu si chaud ; jamais on n’avait été si nombreux à se tenir si chaud. On ne comptait plus.
L’affaire était caniculaire, toutefois, comme l’avait observé HLT dans son billet de la nuit précédente,
Le mot « canicule », « petite chienne » en latin, évoque l’époque où Sirius entre dans la constellation du Grand Chien ; le savoir ne me fait, hélas ! ni chaud ni froid.
Ce moment fut celui que choisit HM pour ruiner entièrement l’idée qu’on se faisait de lui.
*
Etait-ce avant ou après que par la fenêtre ouverte nous fut venue de la rue la rumeur d’une altercation, animée d’abord, enfin violente au point d’avoir laissé trace dans le CR de cette réunion ?
J’y retrouve en effet, cherchant à réordonner mes souvenirs à la succession des rubriques de l’ordre du jour, mention du cri qui jeta l’Oulipo au balcon : “Il me casse les couilles, ce chien.”
Après quelques moments d’incertitude on s’accorda pour observer que, si le ton, les termes étaient virils, la voix, elle, n’était pas masculine. Est-ce IM ? Est-ce PF qui, saisissant au vol et au pied de la lettre la profération réitérée , s’étonna de ce discord 1 ?
On courut aux fenêtres pour le constater, s’aérer, s’égayer…
La dame aux couilles cassées se tenait plantée sur l’asphalte, tenant en laisse au bout d’un bras musclé et tatoué, un petit clebs frissonnant. Mais c’est à un autre qu’elle semblait faire référence, coutumier certainement du fait, un invisible probable mastard appartenant à l’un ou l’autre des messieurs qu’elle alterquait crescendo.
Elle ne plaisantait pas. Elle prédisait, elle promettait à haute voix une issue sanglante. Y aurait des morts. Car il les lui cassait ce chien, les couilles, à la dame 2.
Ce qui est certain, c’est que, se fût-on risqué à lui révéler qu’elle ne pouvait parler que par figure, qu’elle vous l’eût probablement cassée en retour.
Le CR confirme ce qui m’apparaît à présent distinctement : l’altercation ne peut être que postérieure, dans l’ordre de la réunion, à l’intervention de HM qui laissa l’Oulipo pantois. [Une plus imagée, mais plus grossière expression m’est venue sous la plume ; je l’ai coupée.]
Car je me remémore nettement VB luttant contre l’accablante chaleur, la concurrence déloyale du fait divers, l’ébullition de l’Oulipo, sa dissipation aux balcons, l’attrait exercé sur tant de ses membres par le fracas testiculaire (ou peut-être, pour les plus grammairiens d’entre eux, la dislocation syntaxique), VB luttant donc vaillamment contre les démons de la canicule pour nous mettre webemment à jour.
*
C’est donc bien avant cela, à la rubrique Ruminations, que HM nous a lu son essai d’exemplification canonique du tête-à-pied. Ou comment se rendre de ‘tête’ à son opposé, par la voie de substitutions pas à pas, lettre à lettre. Ce qu’il accomplissait en 6 coups.
Mais voilà, une imperfection le gênait : dans sa descente de ‘tête’ à ‘pied’, il était tombé sur un mot de 4 lettres qu’il n’avait su éviter, en dépit d’efforts réitérés, un mot malencontreux.
Il en était mécontent, chiffonné, Harry. Ce serait beaucoup mieux sans, pensait-il.
A ce coup, oulipian jaws dropped (an average of on ne sait combien de pieds ou pouces… L’Oulipo avait perdu toute mesure… mais qui, ce jour-là, n’était pas dans ce cas ? Le mètre-étalon lui-même, en son douillet pavillon de Breteuil, devait s’excéder perceptiblement).
Comment ?! Harry, toi ! l’auteur de Plaisirs singuliers, et de Tlooth, et encore de “One-way mirror” ?! (Mais on pourrait placer ici au choix n’importe lequel des titres d’oeuvres de HM : la probabilité d’y surprendre l’énergumène ou l’un de ses hétéronymes est élevée.) M’enfin, kèsskitariv ? Wherefrom cette soudaine réticence à user d’un vocable qu’on te croyait cher (et point rare)? Soudain accès de puritanisme ?
Eut-on seulement la présence d’esprit (les cervelles se liquéfiaient ; on ne réfléchissait plus ; on n’était plus bons qu’à émoter de la stupéfaction, c’est tout ce qu’on savait encore faire…) de signaler à Harry :
1. que c’était un parfait token du legal franglais qu’il rêvait là de sacrifier,
2. que dans une descente de la tête au pied, figurant donc un blason, sa présence littérale à mi-chemin n’était pas immotivée ?
Tardif, though psychologically subtle, fut l’effort de réenchantement homophonique proposé par JR dans un mail nocturne : minuscule clinamen, le redoublement d’une consonne centrale suffit à métamorphoser le vocable fatidique en un mollusque noble, méditerranéen, retenu à son rocher par la soyeuse chevelure qu’il sécrète, ce faisceau appelé byssus, dont on fila et tissa dès la plus haute antiquité les longs et fins et doux filaments en de très belles soieries.
IM, atterré, tenta bien de redorer sur le champ le blason du dit token, en rappelant à HM que ce sympathique signifiant, entendu en anglais, offrait un fort joli, et vigoureux et evergreen symbole.
*
Mais Harry doutait que l’identité graphique des signifiants fût si symbolique et signifiante que cela… peut-être, avec pas mal de chance, parfois, pouvait-on, avait-on pu se dire que oui, c’était ça…
Mais si rarement…
Et craignait encore et toujours que des tête-à-pied passant par là fussent inadéquats, fussent inélégants…
Non, vraiment, ce serait mieux sans.
Et je sentais Harry malheureux de ce discord entre son sentiment esthétique intime et celui de l’Oulipo réuni en corps. J’aurais voulu soutenir moralement Harry contre le chorus oulipien ; j’aurais dû, ce jour là. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Serait-ce que je n’en ai pas eu le coeur ?
Ça n’aurait pu pourtant manquer de le rassurer.
Car évidemment, ce n’est pas moi qui contredirai Harry. Je partage, à l’encontre de l’écrasante majorité des oulipiens, son sentiment esthétique : c’est sans conteste mieux sans, plus élégant, nettement plus oulipien, et à vrai dire, infiniment plus bandant.
______________________________
1 Comment en effet les lui casser dès lors qu’on pouvait douter qu’elle en eût ? Nos oulipiens raisonnaient ainsi que Russell à propos de la calvitie de l’actuel roi de France : quel statut, et quelle valeur de vérité accorder à un tel énoncé dès lors que la pressupposition d’existence qu’il emporte s’avère contrefactuelle ? La France n’a plus de rois. (Chauves ou pas, ça n’a d’ailleurs jamais fait ni chaud ni froid à la guillotine.)
2 Ne serait-il pas plus exact toutefois d’écrire qu’il les lui cassait à la dame, les couilles, ce chien ? Ou bien était-ce que les couilles, ce chien, à la dame, il les lui cassait ? Peut-être est-ce plutôt à la dame, ce chien, les couilles qu’il les lui cassait ? Je ne sais plus bien. Si ça se trouve, en réalité, il les lui rompait ce chien, à la dame, les couilles. Et même, possiblement les couilles à la dame, ce chien, les lui brisait-il, et menu… Parce que, et autant que rompues, les couilles, c’est disloquée qu’elle l’avait, la phrase, la dame, même si je ne sais plus exactement comment.