En 1960, les oulipiens se sont mis au travail. Ils ont tenu des réunions mensuelles, discuté, trouvé des idées, proposé des contraintes, ce qui ne les empêchait pas d’aimer la liberté, au contraire, ils ont écrit des textes suivant ces contraintes, collectivement ou individuellement, ils ont mangé, ils ont bu, ils ont fait des calembours, dont certains antireligieux, ils se sont envoyé des convocations et des comptes rendus de réunion, ils ont coopté de nouveaux membres.
En 2015, ce travail était devenu un objet d’histoire. Des spécialistes, Camille Bloomfield et Claire Lesage organisèrent une exposition sur le travail des oulipiens à la Bibliothèque nationale de France.
Pendant ce temps, les oulipiens travaillent. Ils tiennent des réunions mensuelles, proposent des contraintes, aiment toujours la liberté, écrivent des textes suivant ces contraintes, collectivement ou individuellement, ils mangent, ils boivent aussi parfois, ils s’envoient des comptes rendus de réunion et des convocations, ils font de plus en plus de calembours, dont certains antireligieux, ils participent à des lectures et à d’autres manifestations publiques, pour la littérature, c’est-à-dire contre la barbarie, ils cooptent de nouveaux membres, ils sont maintenant quarante. Plusieurs d’entre eux, sollicités pour participer au catalogue, ont écrit un ou deux texticules, moments oulipiens, portraits. Certains d’entre eux sont même allé visiter l’exposition.
En 2075, leur travail sera devenu un objet d’histoire. Envisager l’existence d’une année 2075 est une déclaration d’optimisme sur l’avenir de l’humanité. Des spécialistes, Fatima Champfleury et Clara Largesse peut-être, organiseront une exposition sur le travail des oulipiens à la Bibliothèque nationale de France. Envisager l’existence d’une Bibliothèque en 2075 est aussi une déclaration d’optimisme. L’exposition coïncidera avec l’inauguration du nouveau site de cette bibliothèque, allée Jacques-Roubaud, dans le vingt-neuvième arrondissement.
On y verra des objets mythiques comme
la machine à écrire avec laquelle Georges Perec a dactylographié La Vie mode d’emploi et Paul Fournel rien du tout,
le peigne qu’utilise Olivier Salon dans sa loge en se mettant en costume pour Chant’Oulipo (ce soir même peut-être),
la caméra avec laquelle Valérie Beaudouin fabrique ses poèmes vidéo,
la clef USB (avec des explications rédigées selon les contraintes appropriées sur ce qu’est une clef USB) sur laquelle Jacques Jouet a transporté ses poèmes dans le métro,
les crayons qu’Étienne Lécroart manie en ce moment même,
le jeu de scrabble utilisé par Michelle Grangaud pour ses composer ses anagrammes,
les couverts à salade de Jacques Roubaud,
le stylo de Raymond Queneau et le pinceau de CC,
la tablette avec laquelle AB écrira les poèmes pour la toute première BO en chinois, qui sera aussi la toute dernière BO papier, juste après sa cooptation par l’ouvroir,
le rouleau de Jason Murphy (non, il n’a pas été détruit, tout ça, c’est du roman) prêté par le petit-fils de Paul Fournel,
la gomme avec laquelle Marcel Bénabou a effacé les mots de certains de ses poèmes.
Cette partie de l’exposition se tiendra dans le wagon dans lequel Jacques Jouet a écrit son premier poème de métro, que les commissaires de l’exposition auront pu identifier et récupérer avant sa mise à la casse.
Seront exposés dans les autres salles plusieurs inédits conservés par les archives, par exemple les manuscrits des poèmes écrits pour la lecture de janvier 2015 et que nous n’avons pas lus. Les soixante-neuf oulipiens seront sollicités pour participer au catalogue. Plusieurs écriront des texticules, moments oulipiens, portraits. Il y aura en effet plusieurs moments oulipiens dans le catalogue. Je vous rappelle qu’un moment oulipien doit faire intervenir au moins deux oulipiens. L’un d’eux, extrait des archives de MA, décrira la préparation de la lecture du 15 janvier 2015. Les autres seront écrits par des oulipiens plus jeunes.
Certains des oulipiens iront même visiter l’exposition. Le jour du vernissage, on verra ainsi Frédéric Forte, âgé de 102 ans, dans son fauteuil roulant (électrique) faire la course avec Pablo Martín Sánchez, jeune nonagénaire, utilisant un nouveau déambulateur à ressorts pour arriver avant lui à la table où des boissons sans alcool ni sucre et des cacahuètes sans matière grasse ni sel seront proposées au happy few dans une salle dérobée. Et Pablo se dépêchera de raconter cette course dans un « moment oulipien » qui sera repris dans encore un catalogue, en 2135 peut-être. L’optimisme ici concerne la durée de vie de l’espèce humaine. Celle de l’Oulipo en est un corollaire.
Ce soir, nous allons vous présenter certains des textes qui seront exposés dans le grand bâtiment de l’allée Jacques-Roubaud en 2075. Avant de commencer, je vous rappelle que l’on y accèdera par le métro, ligne 18, station Clarissa Jean-Philippe, ou par l’autobus 29, arrêt Liberté de la Presse (pour ceux qui l’ignoreraient, il s’agira du nouveau nom de l’arrêt jusque là nommé « Présidente-Marine-Le-Pen », l’optimisme est pour le long terme), et que l’exposition sera ouverte du mardi au dimanche de 12 heures à 19 heures, jusqu’au 53 févrembre.
Paris, le 15 janvier 2015