Texte lu aux Jeudis de l’Oulipo, décembre 2005.

Hervé Le Tellier

Certains oulipiens ont été récemment interpellés, dans des circonstances qui sont ici brièvement rappelées.

La fin de Marcel Bénabou

La police égyptienne annonce ce matin l’arrestation d’un homme suspecté d’être le tueur en série coupable de nombreux meurtres la région d’Alexandrie. On se souvient que depuis quelques années, des cadavres atrocement mutilés étaient retrouvés cousus l’un à l’autre. La découverte la plus abominable avait été faite voici quelques mois, lorsque on avait découvert un charnier de vingt-huit demi-corps sciés en deux et recollés deux à deux, formant quatorze corps difformes et sanglants. Les autres parties des victimes avaient disparu. La police scientifique n’avait pu identifier qu’un jeune soldat, tête nue, qui avait deux trous rouges au côté droit.

Le suspect est un dénommé Marcel Bénabou, pensionné de l’État français, ancien professeur d’histoire latine à l’Université de Paris VII. L’homme quittait régulièrement la France pour l’Égypte afin d’y perpétrer ses crimes, car c’est là-bas, aurait-il affirmé au cours de sa garde à vue, que l’on trouve les plus alexandrins les plus purs. Une demande d’extradition a toutefois été déposée par l’État de Virginie et celui du Minessota, pour des crimes semblables commis en 2002, dans les ville d’Alexandrie et d’Alexandrie, respectivement 110 000 et 230 000 habitants.

Par ailleurs, Marcel Bénabou est membre de l’Oulipo

La fin de François Caradec

La police parisienne a procédé ce matin à l’arrestation du principal suspect dans l’affaire des assassinats de Christine Angot, du professeur Schnemonnic et de Philippe Sollers, dans les étranges conditions que l’on connaît. L’homme serait un auteur professionnel, ancien typographe et membre d’une secte, le Collège de Pataphysique, que la police aurait infiltré depuis sa désoccultation. Biographe d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, de Willy, de Colette ou du pétomane, François Caradec s’était depuis peu lancé dans la biographie de vivants, malgré les conseils de son éditeur qui lui recommandait plutôt les morts, qui sont des « valeurs sûres ». « Je vais t’en faire des valeurs sûres », aurait répondu Caradec, s’attelant aussitôt aux biographies de Christine Angot, du professeur Schnemonnic, et de Philippe Sollers.

Son entourage affirme ne pas comprendre. « Il a son caractère », dit un de ses amis qui tient à conserver l’anonymat, « mais de là à imaginer qu’il irait aussi loin. »

On se souvient que  l’individu a déjà été soupçonné par ailleurs dans l’affaire de l’assassinat de Marcel Duchamp, mais l’affaire est prescrite depuis près de vingt ans.

Par ailleurs, François Caradec est membre de l’Oulipo

La fin de Paul Fournel

Un homme correspondant au signalement du tueur de cycliste parisien a été interpellé par la police ce matin à son domicile du Xème  arrondissement. Le suspect est un écrivain jouissant d’une bonne réputation, répondant au nom de Paul Fournel.  L’homme a livré à la police des aveux circonstanciés. Depuis un livre à succès,  « Besoin de vélo », Paul Fournel avait commencé une collection, de vélos évidemment. Ses finances avaient, dans un premier temps, pu suffire à cette passion. Mais parvenu au 1253ème vélo, les remarques de son banquier semblent l’avoir conduit à changer de braquet : il commença à voler les bicyclettes en stationnement, puis, ne leur trouvant du charme qu’en état de roulement, il se mit à les arracher des mains de leur propriétaire, les faisant passer de vie à trépas à coup de pompe à vélo. Dans un troisième temps, il se mit à emporter les cadavres des cyclistes, se livrant à son domicile à une passion tenue secrète et dévorante, la taxidermie. La police a ainsi découvert une collection macabre de plus de trente-trois cyclistes empaillés, dressés sur leur machine dans des positions diverses. Une collection d’étiquette épinglés sur les cadavres  laisse les inspecteurs perplexes. Sur une dame corpulente est écrit « grosse rêveuse », sur un jeune homme à walkman « un rocker de trop », sur deux fillettes d’une dizaine d’années, en tandem, toutes deux empaillées, « les petites filles respirent le même air que nous ».

Maître Spinzer, son avocat, plaidera l’irresponsabilité.

Par ailleurs, Paul Fournel est membre de l’Oulipo

La fin de Jacques Jouet

L’énigme du « boucher de Jussieu » semble enfin résolue. La police parisienne a procédé ce matin à l’arrestation d’un suspect correspondant au signalement pourtant vague fourni par la seule victime ayant parvenu à s’échapper. Le suspect n’a pas nié sa culpabilité et procédé à des aveux complets.

Notons que c’est la publication d’un livre, cas unique dans le cadre d’une procédure policière, qui a mis les enquêteurs sur cette piste. Il s’agit d’un ouvrage publié chez POL de Jacques Jouet.

Il commençait ainsi :

« De temps en temps, j’écris des poèmes de couteau

savez-vous ce qu’est un poème de couteau

Un poème de couteau est un poème composé au couteau le temps d’un meurtre

Un poème de couteau compte autant de vers que votre meurtre compte de coups de couteau, moins un.

Le premier vers est composé dans votre tête entre les deux premiers coups de couteau de votre meurtre (en comptant le coup de couteau de départ)

Il est transcrit sur le papier quand le couteau sort la première fois du ventre de la victime.

Le deuxième vers est composé dans votre tête entre le deuxième et le troisième coups de couteau de votre meurtre

Il est transcrit sur le papier quand le couteau sort la seconde fois du ventre de la victime (etc).

Il ne faut pas composer quand le couteau est dans le ventre de sa victime

Il ne faut pas écrire quand le couteau est en l’air.

Si le meurtre impose un ou plusieurs changement de couteau,

le poème compte deux strophes ou davantage.

Lorsque la victime s’enfuit entre deux coups de couteau,

c’est toujours un moment compliqué du poème de couteau. »

Par ailleurs, Jacques Jouet est membre de l’Oulipo.

 

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Références: