Plouf… Encore un de mes projets littéraires qui vient de tomber à l’eau ! Un de plus, qui a plongé au fond du puits, comme les précédents. Oh, inutile de lâcher un torrent d’injures. Ou de verser des larmes de crocodile. C’est ainsi : d’année en année, avec la régularité des marées, mes échecs se suivent et se ressemblent. Comme des gouttes d’eau. Mais qui ne font jamais rien déborder, sinon un peu de vase…
Eh oui, tout le monde le sait maintenant, entre l’écriture et moi, il y a comme qui dirait de l’eau dans le gaz. Faut dire que l’écriture, bien que je sois tombé très tôt dans le chaudron, je ne m’y suis jamais vraiment senti comme un poisson dans l’eau. Je me suis donc épuisé à nager à contre-courant. Mais tous les efforts que j’ai pu faire n’étaient pas plus qu’une goutte d’eau dans la mer ! Alors, je me suis laissé déborder, et j’ai fini par devenir, avec une joie mauvaise, le champion des coups d’épée dans l’eau, le recordman des grands desseins qui se terminent… en eau de boudin.
N’empêche, cette fois-ci, j’aurais dû me méfier. Mes naufrages passés auraient dû me mettre en garde. « Chat échaudé craint l’eau froide » dit-on. Mais ce dicton ne s’applique décidément pas à moi. Moi, vous l’avez compris, ce serait plutôt « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ».
Quoi qu’il en soit, c’est un fait, je ne me suis pas méfié. Pourquoi ? Mais parce que c’était un très joli projet, dont le titre m’avait tout de suite mis l’eau à la bouche. Oui, « prose liquide », cela sonnait bien, il me semblait que c’était clair comme de l’eau de roche, que cela devait couler de source. En tout cas que ce ne serait sûrement pas la mer à boire. Donc, je n’ai pas hésité à me jeter à l’eau.
Mais là, une fois dans le bain, plus rien ne va.
Pendant une heure, je m’échine, je sue sang et eau pour trouver quoi dire et, bien que je sois déjà tout en eau, je ne trouve pas. Et je reste, comme ça, le bec dans l’eau, avec la désagréable impression que mon cerveau fait eau de toutes parts, et qu’il ne me reste plus qu’à jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour tout dire, je n’arrive même plus à assigner un sens à cet étrange assemblage de mots : prose liquide.
Ben oui, quoi. Rien de moins oulipien, à priori, qu’un tel objet. Si l’on se souvient qu’en physique, l’état liquide est l’état dans lequel une substance n’a pas de forme fixe, une prose tombée dans ce triste état est évidemment aux antipodes d’une prose oulipienne, laquelle se caractérise par la rigueur formelle qu’est censé lui donner l’usage de la contrainte. Une prose liquide est une prose qui coule, et une prose qui coule a de fortes chances de sombrer. Ce n’est pas pour rien que l’on parle à son propos de logorrhée ou de diarrhée verbale.
Alors, je laisse tout tomber, et avant qu’on me reprenne à écrire, il coulera de l’eau sous les ponts….