(Joseph Boulmier, à la fin du XIXe siècle, publie une villanelle qui définit sa propre forme. Celle-ci respecte par anticipation le principe de Roubaud : un texte écrit selon une contrainte parle de cette contrainte).
Joseph Boulmier – Les Villanelles – 1878
Villanelle
Pour faire une villanelle
Rime en ‘elle’ et rime en ‘in’
La méthode est simple et belle.
On dispose en kyrielle
Cinq tercets, plus un quatrain,
Pour faire une villanelle
Sur le premier vers en ‘elle’
Le second tercet prend fin ;
La méthode est simple et belle.
Le troisième vers, fidèle,
Alterne comme refrain
Pour faire une villanelle
La ronde ainsi s’entremêle ;
L’un, puis l’autre, va son train
La méthode est simple et belle.
La dernière ritournelle
Les voit se donner la main
La méthode est simple et belle
Pour faire une villanelle
Remarque historique : comme le démontre Julia Kane dans son article The Myth of the Fixed-form Villanelle (MLQ 2003) la forme stricte ainsi décrite est une invention du 18ème siècle et ne remonte pas, comme le prétendent encore les traités de poétique au Moyen-Age, ni au seizième siècle. "(it) was a ruse manufactured by a 18th century priest and popularized by a 19th century satirist based on a single preexisting specimen". Le responsable est un nommé Berthelin dans la réédition de 1751 du fameux dictionnaire de rimes de Richelet. Le ‘modèle’ est de Passerat : ‘J’ay perdu ma tourterelle”. Boulmier lui attribue l’invention de la forme. Le poème de Passerat n’a presque aucun point commun avec les 18 ‘villanelles’ ou ‘villanesques’ du 16ème (Mellin de St Gelais, Grévin, du Bellay, Jodelle, Desportes…). L’origine du terme est la ‘villanella’ musicale italienne du 16ème, dont la forme (poétique) n’a rien de fixe ni de ressemblant avec le poème de Passerat (Donna Cardamonbe a étudié 188 exemples musicaux entre 1537 et 1559).
La forme telle que la présente Boulmier (ivrogne athée, auteur d’une biographie d’Etienne Dolet) a pour formule
A(1) b A(2) / a b A(1) / a b a(2) / a b A(1) / a b a(2) / a b A(1) A(2) /
Vers de 7 syll. A(1) et A(2) sont des refrains Banv
Banville en compose une en 1845 (avec 7 tercets), une autre en 1858 (parodies de Passerat) et l’introduit dans son traité de versification de 1872. Il influence les anglais (Edmund Gosse, Austin Dobson) et quelques français : Philoxène Boyer 1867, puis Rollinat, Leconte de Lisle et quelques autres. Mais il y a peu d’exemples en langue française depuis cette époque. En revanche, beaucoup en langue anglaise, puis en langue usaienne : au 19ème Oscar Wilde, au 20ème Joyce, Empson, Auden, Elisabeth Bishop, James Merrill, Sylvia Plath. (Marilyn Hacker dans les années 80). La villanelle anglaise la plus connue est celle de Dylan Thomas « Do not go gentle into that good night … rage, rage against the fading of the light ».
20 juin 2005