Joseph Bertrand, qui était peut-être allé à Tours avec les polytechniciens, passa une partie des dix semaines de la Commune chez son frère. Alexandre Bertrand, un archéologue (dont un des titres de gloire fut-il d’avoir eu pour élève Fernand de Beaumont ?) vivait à Saint-Gemain en Laye, dans le château, juste contre les salles du musée des antiquités nationales, qui venait d’être créé et dont il était le conservateur. Voici des détails avérés. L’appartement était vaste, composé de pièces immenses séparées par de larges vestibules. On y accédait par une salle très longue bordée de sarcophages – ainsi se souvint une de ses petites-filles, Marguerite Borel, qui se ferait connaître comme écrivaine sous le nom de Camille Marbo, qui dit aussi que son grand-père Alexandre était un « républicain indiscutable », elle semblait en trouver une trace dans le fait qu’il avait préféré étudier à l’École normale supérieure… et dans sa non fréquentation des salons du second Empire. Son logement était bien assez grand pour qu’il pût y accueillir ses enfants et petits-enfants pendant les vacances, ses frère et sœur en cas d’urgence.
Pourquoi Joseph Bertrand était à Paris le 8 mai ne nous est pas connu. En tout cas, il pouvait rentrer chez lui : son appartement, et avec lui le manuscrit du troisième volume de son cours de calcul différentiel, a brûlé pendant la Commune, mais ceci s’est produit plus tard, pendant la Semaine sanglante.
La semaine précédente, notre scribe C. P. alias S*, avait commencé son compte rendu, que nous n’avons pas eu la place de citer, ainsi :
Le public était assez nombreux, mais MM. les savants se faisaient, en partie, remarquer par leur absence.
Nous savons que, si quelques-uns ont dû s’éloigner temporairement de Paris pour des motifs assez légitimes, d’autres au contraire qui avaient sollicité ou accepté sous l’ancien régime des fonctions politiques, se sont empressés de fuir à Versailles, sans doute pour y prêter leur concours à la réaction effrénée qui s’y exerce sous la direction de M. Thiers et de son assemblée de ruraux.
Mais, à côté de ces fauteuils vides, nous avons vu avec plaisir ceux occupés par les académiciens qui, fidèles à leur devoir, n’ont pas déserté leur poste scientifique.
Parmi eux, nous citerons M. Chevreul, l’illustre doyen d’âge, et cependant l’un des travailleurs les plus actifs, les plus féconds de l’Académie ; M. Élie de Beaumont, l’inamovible et infatigable secrétaire perpétuel, qui n’a que le seul défaut d’être dépourvu d’un organe suffisant ; M. Delaunay, le jeune directeur annuel de l’Académie ; enfin MM. de Quatrefages, Milne-Edwards, Decaisne, Blanchard, les savants professeurs du Muséum, qui n’ont pas voulu abandonner les richesses accumulées dans notre grand établissement scientifique ; MM. Duchartre, Payen, Chasles, Morin et autres également dévoués à la science.
À tous ceux-là, merci.
Quelles que puissent être leurs opinions politiques, ils font preuve de patriotisme en continuant leurs travaux avec la même ardeur. Ils savent que la nature ne s’arrête point dans sa marche, que ceux qui se sont donné la mission de l’étudier dans ses manifestations les plus éclatantes ou les plus obscures, doivent toujours être en observation, dans la crainte de laisser échapper à leurs investigations quelque fait intéressant et utile au progrès scientifique.
Et ceci fut censuré par les Versaillais dans leur réimpression fasifiée.
Dans son compte rendu de la séance du 8 mai, le journaliste se contenta de décrire les interventions scientifiques, sans touches d’atmosphère ni commentaires politiques. Revenons donc à cette séance.
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Couverture : La Vie mode d’emploi
de Georges Perec
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