L’Académie des sciences et la Commune de Paris Michèle Audin

Michèle Audin

J’ai lu le compte rendu. La signification politique de la place donnée par le Journal Officiel, qui est le journal officiel de la Commune, à ce « reportage » sur la séance de l’Académie des sciences, est claire ; la République a besoin de savants, d’une part, et la Commune veut élever le niveau culturel de la population, d’autre part. Ceci est confirmé par les mentions des « savants » et de l’Académie des sciences par nos communards, Louise Michel nous l’avons vu et Lissagaray nous allons le voir. On s’accordait, de part et d’autre, à affirmer, à prouver que tout se déroulait normalement.
Ce journaliste était un professionnel, il écrivait bien, c’était un amateur de science. Je ne partage pas l’avis de certains mathématiciens, pour qui la manière dont les journalistes parlent de science est un encouragement à les regarder comme de vrais polichinelles. Je suis touchée du respect que montrent ses tournures, l’illustre académicien, le savant académicien, le savant professeur, notre savant confrère… S’il appellait le géologue Stanislas Meunier « notre confrère », c’est peut-être parce que celui-ci était aussi un journaliste, ou parce qu’il le confondait avec son père, Victor Meunier, un journaliste scientifique (d’ailleurs à l’Opinion nationale, un des journaux que la Commune venait d’interdire). Je suis aussi touchée du choix de cette ardente défense du grec ancien, dont Jules Vallès n’aurait pas manqué de rire

l’autonomie […] ça vient du grec, à ce qu’ils disent, les bacheliers !.. Ils savent d’où ça vient, mais ils ne savent pas où ça mène.

J’ai lu le Compte rendu. Émile Egger, qui était membre de l’Académie des inscriptions et des Belles Lettres,  présenta sa longue note comme du « remplissage »: les observations que je vais avoir l’honneur de soumettre à l’Académie sont assurément d’un intérêt secondaire, dit-il d’entrée, mais comme la crise que nous traversons ralentit ou suspend les travaux de plusieurs de nos savants confrères, ils m’excuseront plus facilement de les arrêter un instant sur un sujet qui, en d’autres temps, mériterait moins de les occuper, expliqua-t-il. Pour le Journal Officiel, ce n’était visiblement pas du remplissage. J’ai noté que, comme un bon journaliste, notre reporter a pris des notes, et comme un bon journaliste, il a fait des erreurs, il a écrit « secrétaire à perpétuité », comme si le secrétaire était un condamné, il a entendu et noté « Émile Serres » pour « Émile Gsell » (Brachet et Gsell publièrent une note ensemble, avec des applications aux bésicles, dès la semaine suivante), il était question d’un terme d’origine grecque pour cinq cents d’origine latine, de l’équation « séculaire » (et pas « titulaire ») de la Lune, ici Louise Michel s’aperçut qu’il y avait une erreur, qu’elle corrigea en écrivant :

le jour où Versailles, au nom de l’ordre, apporta la mort dans Paris, on était retourné dans les astres à propos de quelques nouveaux termes du coefficient de l’équateur titulaire de la lune. Ce fut je crois la dernière séance

ce qui, outre comporter une (nouvelle) erreur (de date), n’avait pas beaucoup plus de sens. Elle rapporta aussi, juste avant :

M. Chevreul, d’une voix un peu cassée, déclarait que, tout en n’étant pas partisan absolu de la classification radiaire, il reconnaissait l’importance des études embryologiques.
On parla de tant et tant de choses, par exemple de la matière noire des météorites, de la reproduction de différents types par le degré de chaleur auquel est soumise la matière. M. Chevreul, encore, s’occupa des mélanges de constitutions semblables, dont les effets sont différents, de la nécessité de ne pas se borner aux phénomènes extérieurs des corps, tandis que la chimie est indispensable ;

et nous ne savons pas où elle a trouvé la voix cassée de Chevreul, qu’elle a peut-être confondu avec Élie de Beaumont, dont C. P. dit toujours qu’on ne l’entend pas.

Quant aux quelques théorèmes sur diverses courbes que présenta Chasles, moi qui suis mathématicienne, je puis vous le dire, il s’agissait de rien moins que de quarante-quatre théorèmes, numérotés de 61 à 104, sur des courbes qui sont encore une fois des coniques, Propriétés des systèmes de coniques, dans lesquels se trouvent des conditions de perpendicularité entre diverses séries de droites, tel est le titre. J’ai noté que, comme un bon journaliste, S* a consigné des choses que l’on ne put pas lire dans le Compte rendu officiel, comme le coup de patte de Maumené contre Dumas et les sourires des académiciens. Au fait, pas plus que Faye, Dumas n’était présent, Jean-Baptiste Dumas, l’autre « Secrétaire à perpétuité » n’avait pas paru depuis le 20 mars. Vingt académiciens avaient signé la feuille de présence.

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Couverture : Une page des Comptes rendus
du 24 avril 1871
(quelques-uns des théorèmes de Chasles)

La figure du 24 avril :



Démonstration. Soient S = (A B) $\cap$ (C F) et T = (C D) $\cap$ (A F).