Le 15 mai fut le dernier lundi avant l’attaque finale, et aussi la dernière séance de l’Académie des sciences pendant la Commune : il n’y eut pas de séance le 22 mai et le 29 mai tout était terminé.
Ce jour-là, il y eut dix-huit académiciens (on ne devrait pas les appeler ainsi, ce « titre » est réservé aux membres de l’Académie française) présents, autant que le 1er mai, ce furent d’ailleurs presque les mêmes. C’est à la fois très peu, un minimum absolu pour la période 1867-1871, même si pas un minimum absolu tout court, puisqu’il y eut des mois d’août assez creux, mais aussi, sans tenir compte des vacances, puisque le 8 juillet 1940, après trois semaines sans séance, seules douze personnes – dont aucun mathématicien – assistèrent à la séance – ce serait malheureusement une supputation délicate d’en déduire le fait (rassurant…) que les scientifiques de 1940 ont eu plus peur de l’avance des armées nazies que leur collègues de 1871 n’avaient eu peur des communards…
Dix-huit, c’est à la fois très peu et beaucoup. Ils auraient pu être dix-neuf, si Anselme Payen, un chimiste spécialiste de la bière, découvreur de la toute première enzyme, la diastase, et inventeur du suffixe « ose » (pour le mot cellulose et avec Persoz), qui avait assisté à toutes les séances précédentes, parfois activement et qui, après tout, n’était âgé que de 76 ans, n’était mort brutalement deux jours plus tôt. Lors des obsèques d’un membre de l’Académie des sciences, on ouvrait d’habitude une liste d’émargement que ses confrères présents signaient et que l’on conservait avec les feuilles de présence des séances. Ce ne fut pas le cas pour celles d’Anselme Payen, qu’accompagna, disent les Comptes rendus, une délégation de l’Académie, composée de sept personnes, comme ne le disent par les Comptes rendus mais comme l’écrivit notre ami C. P., alias S*:
Voici la liste des académiciens qui signèrent la feuille de présence de la séance du 15 mai.
(1) Charles Delaunay.
(2) Auguste Trécul, dont la treculia africana (l’arbre à pain) porte le nom et dont la note sur le suc dans les feuilles d’aloès suivait immédiatement le deux cent quatrième théorème de Chasles dans le Compte rendu du 1er mai.
(3) Pierre Duchartre, un botaniste de 60 ans découvreur d’amaryllis, qui avait discouru sur les fleurs de lys la semaine précédente.
(4) Gabriel Delafosse, 75 ans, un cristallographe, qui avait inventé la notion de maille (d’un cristal) et dont un composé d’oxyde de cuivre et de fer, la delafossite, porte le nom.
(5) Léonce Élie de Beaumont.
(6) François-Désiré Roulin, 75 ans, un académicien « libre », ancien explorateur de l’Amérique du sud et l’un des illustrateurs du Règne animal de Cuvier. Roulin, déjà signalé parmi les initiateurs des Comptes rendus, était un oncle de Joseph Bertrand (Madame Roulin était une sœur de la mère de Bertrand).
(7) Michel Chasles.
(8) Irénée-Jules Bienaymé, 75 ans, comme Roulin membre de cette promotion de l’École polytechnique exclue, en 1815, pour bonapartisme, un probabiliste qui fut conseiller pour les statistiques du gouvernement de Napoléon III, et qui laissa son beau nom à une inégalité bien aimée de Tchebychev,
$$P(\vert X-\mu\vert\geq\alpha)\leq\frac{\sigma^2}{\alpha^2}.$$
(9) Milne-Edwards, 70 ans, nom Edwards, prénom Henri Milne, qui se faisait appeler Henri (prénom) Milne-Edwards (nom), dont plusieurs animaux marins portent le nom, et même un caprin, capricornis milneedwardsi, une personnalité sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, par exemple que son père avait eu vingt-sept enfants avec sa première épouse et que lui, Henri Milne, était le deuxième enfant de la deuxième épouse, mais ce n’était qu’un début (pour Henri Milne, pas pour son père).
(10) Joseph Decaisne, 64 ans, qui avait commencé comme jardinier au Muséum et qui rédigeait alors un des neuf volumes de son Jardin fruitier du Muséum, un ouvrage dans lequel il étudiait pas moins de quatre cents variétés de poires.
(11) Louis Mathieu, 88 ans, un apprenti menuisier devenu polytechnicien, astronome ami d’Arago dont il épousa la sœur, Marguerite. Louis Mathieu avait siégé à l’extrême gauche de la Chambre des députés de 1834 à 1848.
(12) Charles Philippe Robin, 50 ans, un des introducteurs du microscope en histologie, notamment, qui avait dirigé les services médicaux de l’armée pendant la guerre qui venait de s’achever. Il fut élu sénateur quelques années plus tard et vota toujours avec les républicains.
(13) Jules Jamin, 54 ans, un physicien qui laissa son nom à un interféromètre et dont le cursus préfigure ceux de ses collègues du siècle à venir, puisque c’était un ancien élève de l’École normale supérieure. Jules Jamin fut le beau-père du physicien Henri Becquerel, ce qui le place aussi dans la lignée généalogique de la physique du vingtième siècle.
(14) Ernest Laugier, 59 ans, un astronome encore, qui détermina la latitude de l’Observatoire de Paris, dont la longitude était, en ce temps, nulle (elle ne passerait à 2°20' qu’en 1884), et un spécialiste des apparitions anciennes de la comète de Halley (qui, de son vivant, avait été visible en 1835). Ernest Laugier était le gendre de Louis Mathieu dont il avait épousé la fille Lucie.
(15) Le contre-amiral François-Edmond Pâris, 65 ans, qui avait navigué sur l’Astrolabe avec Dumont d’Urville et qui réorganisa le musée de la marine (au Louvre en ce temps-là).
(16) Antoine Yvon Villarceau, 58 ans, un astronome dont on donna le nom, ou du moins une partie du nom, son nom était Yvon Villarceau et son prénom Antoine, à des cercles qu’il découvrit sur un tore (mais l’architecte Hans Thomann Uhlberger les connaissait déjà dans les années 1570 et il n’était sans doute pas le seul).
(17) Charles-Émile Blanchard, 52 ans, qui commença comme préparateur, puis aide-naturaliste au Muséum, et qui étudia la faune marine de Sicile avec Quatrefages et Milne-Edwards.
(18) Armand de Quatrefages de Bréau, 61 ans, qui avait fait une première thèse Théorie d’un coup de canon, à Strasbourg en 1829, puis une autre l’Extraversion de la vessie, en 1832 et en médecine, auteur de théories dont le titre Crania ethnica donne une idée et de l’Espèce humaine…
Ce jour-là, il y eut dix-huit académiciens (on ne devrait pas les appeler ainsi, ce « titre » est réservé aux membres de l’Académie française) présents, autant que le 1er mai, ce furent d’ailleurs presque les mêmes. C’est à la fois très peu, un minimum absolu pour la période 1867-1871, même si pas un minimum absolu tout court, puisqu’il y eut des mois d’août assez creux, mais aussi, sans tenir compte des vacances, puisque le 8 juillet 1940, après trois semaines sans séance, seules douze personnes – dont aucun mathématicien – assistèrent à la séance – ce serait malheureusement une supputation délicate d’en déduire le fait (rassurant…) que les scientifiques de 1940 ont eu plus peur de l’avance des armées nazies que leur collègues de 1871 n’avaient eu peur des communards…
Dix-huit, c’est à la fois très peu et beaucoup. Ils auraient pu être dix-neuf, si Anselme Payen, un chimiste spécialiste de la bière, découvreur de la toute première enzyme, la diastase, et inventeur du suffixe « ose » (pour le mot cellulose et avec Persoz), qui avait assisté à toutes les séances précédentes, parfois activement et qui, après tout, n’était âgé que de 76 ans, n’était mort brutalement deux jours plus tôt. Lors des obsèques d’un membre de l’Académie des sciences, on ouvrait d’habitude une liste d’émargement que ses confrères présents signaient et que l’on conservait avec les feuilles de présence des séances. Ce ne fut pas le cas pour celles d’Anselme Payen, qu’accompagna, disent les Comptes rendus, une délégation de l’Académie, composée de sept personnes, comme ne le disent par les Comptes rendus mais comme l’écrivit notre ami C. P., alias S*:
Quoi d’étonnant à ce que, avec un tel début, cet article ait été, lui aussi, censuré par les Versaillais dans leur Officiel falsifié?Un deuil vient d’affliger la science. M. Payen est mort subitement samedi, dans sa maison de Grenelle. Les funérailles ont eu lieu hier, et malgré les obus versaillais qui tombaient fréquemment dans les quartiers environnants, le convoi de l’illustre défunt était fort nombreux. L’Académie était représentée par sept de ses membres ; c’est M. Decaisne qui, au nom de la section d’économie rurale, a prononcé sur la tombe le discours d’usage.
Voici la liste des académiciens qui signèrent la feuille de présence de la séance du 15 mai.
(1) Charles Delaunay.
(2) Auguste Trécul, dont la treculia africana (l’arbre à pain) porte le nom et dont la note sur le suc dans les feuilles d’aloès suivait immédiatement le deux cent quatrième théorème de Chasles dans le Compte rendu du 1er mai.
(3) Pierre Duchartre, un botaniste de 60 ans découvreur d’amaryllis, qui avait discouru sur les fleurs de lys la semaine précédente.
(4) Gabriel Delafosse, 75 ans, un cristallographe, qui avait inventé la notion de maille (d’un cristal) et dont un composé d’oxyde de cuivre et de fer, la delafossite, porte le nom.
(5) Léonce Élie de Beaumont.
(6) François-Désiré Roulin, 75 ans, un académicien « libre », ancien explorateur de l’Amérique du sud et l’un des illustrateurs du Règne animal de Cuvier. Roulin, déjà signalé parmi les initiateurs des Comptes rendus, était un oncle de Joseph Bertrand (Madame Roulin était une sœur de la mère de Bertrand).
(7) Michel Chasles.
(8) Irénée-Jules Bienaymé, 75 ans, comme Roulin membre de cette promotion de l’École polytechnique exclue, en 1815, pour bonapartisme, un probabiliste qui fut conseiller pour les statistiques du gouvernement de Napoléon III, et qui laissa son beau nom à une inégalité bien aimée de Tchebychev,
$$P(\vert X-\mu\vert\geq\alpha)\leq\frac{\sigma^2}{\alpha^2}.$$
(9) Milne-Edwards, 70 ans, nom Edwards, prénom Henri Milne, qui se faisait appeler Henri (prénom) Milne-Edwards (nom), dont plusieurs animaux marins portent le nom, et même un caprin, capricornis milneedwardsi, une personnalité sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, par exemple que son père avait eu vingt-sept enfants avec sa première épouse et que lui, Henri Milne, était le deuxième enfant de la deuxième épouse, mais ce n’était qu’un début (pour Henri Milne, pas pour son père).
(10) Joseph Decaisne, 64 ans, qui avait commencé comme jardinier au Muséum et qui rédigeait alors un des neuf volumes de son Jardin fruitier du Muséum, un ouvrage dans lequel il étudiait pas moins de quatre cents variétés de poires.
(11) Louis Mathieu, 88 ans, un apprenti menuisier devenu polytechnicien, astronome ami d’Arago dont il épousa la sœur, Marguerite. Louis Mathieu avait siégé à l’extrême gauche de la Chambre des députés de 1834 à 1848.
(12) Charles Philippe Robin, 50 ans, un des introducteurs du microscope en histologie, notamment, qui avait dirigé les services médicaux de l’armée pendant la guerre qui venait de s’achever. Il fut élu sénateur quelques années plus tard et vota toujours avec les républicains.
(13) Jules Jamin, 54 ans, un physicien qui laissa son nom à un interféromètre et dont le cursus préfigure ceux de ses collègues du siècle à venir, puisque c’était un ancien élève de l’École normale supérieure. Jules Jamin fut le beau-père du physicien Henri Becquerel, ce qui le place aussi dans la lignée généalogique de la physique du vingtième siècle.
(14) Ernest Laugier, 59 ans, un astronome encore, qui détermina la latitude de l’Observatoire de Paris, dont la longitude était, en ce temps, nulle (elle ne passerait à 2°20' qu’en 1884), et un spécialiste des apparitions anciennes de la comète de Halley (qui, de son vivant, avait été visible en 1835). Ernest Laugier était le gendre de Louis Mathieu dont il avait épousé la fille Lucie.
(15) Le contre-amiral François-Edmond Pâris, 65 ans, qui avait navigué sur l’Astrolabe avec Dumont d’Urville et qui réorganisa le musée de la marine (au Louvre en ce temps-là).
(16) Antoine Yvon Villarceau, 58 ans, un astronome dont on donna le nom, ou du moins une partie du nom, son nom était Yvon Villarceau et son prénom Antoine, à des cercles qu’il découvrit sur un tore (mais l’architecte Hans Thomann Uhlberger les connaissait déjà dans les années 1570 et il n’était sans doute pas le seul).
(17) Charles-Émile Blanchard, 52 ans, qui commença comme préparateur, puis aide-naturaliste au Muséum, et qui étudia la faune marine de Sicile avec Quatrefages et Milne-Edwards.
(18) Armand de Quatrefages de Bréau, 61 ans, qui avait fait une première thèse Théorie d’un coup de canon, à Strasbourg en 1829, puis une autre l’Extraversion de la vessie, en 1832 et en médecine, auteur de théories dont le titre Crania ethnica donne une idée et de l’Espèce humaine…
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Couverture : L’Officiel du 16 mai 1871
photographie : cercles de Villarceau…
par Hans Thomann Uhlberger,
au-dessus d’un escalier du musée
de l’Œuvre-Notre-Dame à Strasbourg, MA
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de l’Œuvre-Notre-Dame à Strasbourg, MA
La figure du 15 mai :
= [A,T,N,F].
= [A,T,N,F].