i)
 
ça recommence comme d’hab le bla-bla-bla
qui ne fera pas bouger les âmes pas plus que les montagnes
tiens est-ce que ça existe seulement le bonheur
voilà la question d’un coup creusant des vallées
de représentation de faire semblant et de mensonge
dans les interstices entre toutes ces nuits
plus remplies d’images creuses de l’auto-propagande
que de petites bêtes mimis qui courent dans les forêts
où on se donne tout simplement un style
sonnant aussi pompeusement bien qu’une musique
de film au moment où l’action remplace le sens
comme quoi tout ça ben ça rime
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
et que tout ça sert comme d’hab ce matin
à rien oui comme une poignée de malheureux pleurs
versés presque machinalement ce soir
devant un film bourré de tout sauf de la vérité
ou bien l’échappatoire facile de faire le mort
après avoir tiré un coup avec sa nouvelle
 
ii)
 
oui ça recommence et ça continue comme une nouvelle
source jaillissant d’eau pétillante de ce bla-bla-bla
on se lève mange et puis refait le mort
comme un alpiniste oublié entre deux montagnes
ou comme un amnésique torturé pour cracher la vérité
on cherche dans sa glace les signes de bonheur
juste comme on recherche aussi chaque soir
les traces de la vie sur la peau et dans ses vallées
dans ces yeux qui ont plus rien à foutre des pleurs
ni peur de la connerie pas plus que du mensonge
nécessaire à retirer un coup peut-être ce matin
et marre de ne chercher qu’à dormir toutes ces nuits
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
on lit le journal comme un brulot de propagande
sans la moindre trace d’une rime
de vraisemblance entre les arbres et leurs forêts
ou entre l’information commune et le sens
naturellement là ou venant d’un quelconque effet de style
dans les resurgissements lyriques d’une vieille musique
 
iii)
 
tu changes de chaîne alors et mets de la musique
aplatissant du coup chaque réveil et sa nouvelle
ça c’est en fait quand on y pense ton style
préférant les abstractions sonores et leur bla-bla-bla
parfaitement et intentionnellement dépourvues de sens
vivant comme un mort vivant faisant le mort
aux chemins tourmentés affublés de mots dans les forêts
de la pensée d’où on aperçoit à l’horizon quelques montagnes
sans plus de raison dans tes actes que de rime
à première vue qu’il y de la vraie vérité
dans les histoires d’amour et leur agréable propagande
cherchant aveuglement tout sauf le bonheur
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
une journée de chansons de plus et il arrive le soir
alors que nos heures se transforment en nuits
et nos collines de désirs en profondes vallées
dans lesquels on se réveille gelés chaque matin
alors que nos rires hystériquement virent en pleurs
avec toute la vraisemblance charmante du mensonge
 
iv)
 
essayons voir et changeons encore de mensonge
et testons les harmonies de cette nouvelle musique
rien de plus inutile en fait que des pleurs
rien de plus triste en fait qu’une nouvelle
tête à côté de la tienne ce soir et puis ce matin
quand ils font surtout partie d’un style
fait tout apparemment naturellement des vallées
de la signification et de son bla-bla-bla
consistant en la vidange des boîtes de kleenex avant ses nuits
le carton à recycler alors les mouchoirs non et le sens
avec tout ça faisant ce qu’il veut du soir
comme si à chaque moment on avait enterré un mort
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
pas plus que dans les tombes faites main des forêts
et dans son cercueil il dormait sur ton bonheur
fabriqué à partir des montagnes
proprement soviétiques de la propagande
aussi confortable et inévitable qu’une rime
avec toute la beauté de ce qu’on appelle chez les flics la vérité
 
v)
 
en la grattant un petit peu puis pas mal la vérité
se déchire comme un derme à épaisseur infini de mensonges
après tout j’aimerais bien qu’on rime
toi et moi qu’on fasse une belle dissonance avec notre musique
tout en déversant une dense et non-rébarbative propagande
à autre chose qu’un kleenex trempé de pleurs
ou à une balade d’aveugles haletant dans les montagnes
que notre nous à nous ne soit pas une tragédie nouvelle
et qu’il soit trempé plutôt de notre bonheur
un signe de nous aussi bien chaque après-midi que chaque matin
comme un livre fait des hécatombes des forêts
fait de toi et moi ensemble notre style
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
mais un rien de fou aussi bien dans les hauts de nous que dans nos vallées
quand potentiellement on fait autre chose que le mort
avec tous les délices préliminaires du bla-bla-bla
alors que notre goûter se transforme en collation du soir
pendant les longues heures sans sommeil avant nos nuits
s’en dessous dessus de nous dans tous les sens
 
vi)
 
en mettant le nez un peu plus près tu sens
le fin fond physique de la vérité
tu entends là le rythme entêtant des nuits
avec toute la joie de vie du mensonge
et la convivialité entre inconnus le soir
s’élevant des rues comme des vers sans rime
ni queue mimant comme ils peuvent le bla-bla-bla
du vrai non-sens de la vraie musique
et partout l’existence qui chasse la mort
aussi provisoirement que la belle propagande
fait de tes seins les alpes et de mes opinions les profondes vallées
comme le kleenex chasse les pleurs
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
oui tes fesses sont comme les montagnes
comme la soi-disant sincérité chasse le style
et comme l’amour chasse quand même une nouvelle
aventure dans les méandres de l’émotion et ses forêts
et notre peu de vie tue forcément le bonheur
à chaque fois qu’ouvre ses yeux le matin
 
vii)
 
tiens prenons par exemple ce matin
et son semblant de thé et son semblant de sens
pourquoi cette quête obstinée alors après le bonheur
pour dire pas si tristement que ça la basse vérité
qui rode comme citadine en talons aiguilles dans les forêts
qui reste aussi intangible que l’odeur de nos nuits
qui devient aussi journalistiquement tripotée que chaque nouvelle
qui devient du coup par pêché d’addition un mensonge
et plus éphémère encore qu’un soi-disant beau style
tiens prenons aussi pourquoi pas ce soir
qui regarde ses lendemains comme des montagnes
qui cherche à tout prix que tout rime
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
sauf ben évidemment comme d’hab un éternel bla-bla-bla
aussi éphémère encore que l’eau de tes pleurs
ou les tubes évidant la merde de la musique
et même plus longuement la convexité des vallées
n’ayant même pas le temps d’arroser les chrysanthèmes d’un mort
divin malgré toute sa humainement divine propagande
 
viii)
 
tu feuillètes d’ongle un peu blasé page par page la propagande
du monde en général entre bouchées de cornflakes le matin
car si tu veux une apparente permanence regarde la mort
qui prend petit à petit obstinément sens
comme le doigt du temps gratte la démangeaison des vallées
et tout ce qu’elle sait semer comme simple bonheur
dans un arrangement de cris qui fait grosso modo musique
comme les membres épars d’un corps subodorent une vérité
la vengeance bouffée froid malgré tous les pleurs
par exemple ou bien les bébés exposés dans les forêts
à l’époque d’or des beaux bla-bla-bla
versés par des anonymes tout seul pendant des nuits
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
de particulier circulons donc entre une révolution nouvelle
et un chant patriotique qui fait enfin qu’on rime
ange et mensonge
wassingue et montagnes
patrie et connerie sans aucun effet de style
et aucune harmonie voulue ce soir
 
ix)
 
en fait rien à foutre du soir
quand le jour s’est déjà fait bouffer par sa propre propagande
ah non le vrai de vrai style
c’est regarder en silence par la fenêtre le matin
autre chose largement plus tangible que les vaches et les montagnes
ça fait qu’on ne fuit plus la mort
en courant les rues après le mensonge
du sens unique du sens
pas plus que le poète moderne ne cherche la rime
perdu parmi les vallées
de la non métrique nouvelle
que l’esthète classique rêve du bonheur
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
ta bouche pas plus sensée que la musique
que la lune est identique toutes les nuits
que quelque chose quelque part des fois cache la vérité
que bla et bla-bla et bla-bla-bla
ou que l’ado saurait pousser ses boutons sans pleurs
comme tiens la lave refroidissante se garnit de forêts
 
x)
 
on dirait que la lune bave sur les forêts
et toutes leurs belles bébêtes ce soir
à regarder autrement on fond en pleurs
de soulagement à la mort subite de la propagande
du beau et du sérieux et du bla-bla-bla
de rire hilare devant le manque de style
des diseurs d’une vérité
profondément ratatinée c’est le matin
de ceux qui bossent le jour puis passent leurs nuits
à rêver de plages par exemple ou de montagnes
d’une vie de gland faite de danse et de musique
ronflant comme les gaz crachés par un mort
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
ils restent éternellement dans le demi-monde du mensonge
éveillés pour l’ennui endormis pour le bonheur
leur corps une confusion de sens
cherchant une ancienne joie dans une nouvelle
comme des vers libres cherchant en vain la rime
ou un aigle estropié rêvant des vallées
 
xi)
 
dans ce genre de truc qui dit vallées
dit forcement forêts
dans leur tête pas de poésie sans rime
ni soir
sans muse nouvelle
pas de rimes sans confession d’amour et pleurs
sans sens
pure propagande
et qui dit poésie dit absence total de bonheur
bla-bla-bla
pur mensonge
le tout enveloppé dans un soi-disant style
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
en vérité
qui n’a jamais vécu avant d’être mort
ce matin
de musique
clair comme la plus noire de toutes les nuits
ajoutons tiens quelques montagnes
 
xii)
 
en regardant bien depuis une de ces montagnes
les habitants heureux de toutes ces vallées
l’amour c’est pour les après-midis et pas que les nuits
et pas que pour les lits mais aussi les forêts
voilà ce qu’elle leur chante cette musique
pas plus que l’émotion ben faut que ça rime
on baise dès son réveil ce matin
sans attendre les bâillements du soir
pas plus que c’est forcément triste la mort
on propage un peu partout la bonne nouvelle
comme la révélation éveillée d’une simple vérité
et on pisse son chagrin comme on suinte ses pleurs
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
les mots gardent obstinément leur sens
sans avoir la moindre préconception d’un style
et l’éternellement belle propagande
des vers n’est pas faite d’un vrai mensonge
pas plus que de la vraie source du soi-disant bonheur
et cetera et bla-bla-bla
 
 
Tornada
 
bonheur vérité et mensonge et tout allez c’est assez pour ce matin ce soir et même toutes nos nuits
où la poésie coule sans style tourmenté sans propagande nouvelle et sans le bla-bla-bla du sens sans rime
et tout ça fait qu’il ne se passe rien
alors pas de pleurs ni de forêts de musique devant la drôle de beauté des montagnes des vallées de la mort

 
Les vers en gras forment une double sextine (à partir des 'mots rimes' de la double sextine de Pétrarque - Canzoniere 332). Écrite débord, les autres vers ont ajoutés autour de ses 72 vers. Il s’agit donc d’une étape intermédiaire entre la nonine simple, et la noninisation. La moitié des autres 'mots rimes' viennent de la double sextine de Philip Sidney, et ceux qui restent par un jeu d’association aux douze de Pétrarque et de Sidney. Le vers fixe fait allusion au célèbre vers de W. H. Auden : for poetry makes nothing happen. IM