L’Académie des sciences et la Commune de Paris Michèle Audin

Michèle Audin

Quarante personnes signèrent la liste d’émargement. Les années précédentes, en mars, on avait vu des séances auxquelles avaient participé plus de soixante académiciens. En mars 1871, la compagnie se composait de soixante-seize académiciens des sciences vivants (deux places étaient à pourvoir). La liste des présents commençait à peine à s’allonger, après les trente noms de la séance du 9 janvier, au pire moment du siège.

Et ce jour-là, qui donc était un lundi, les séances avaient toujours lieu le lundi, le coup de sonnette du président ouvrit la séance à trois heures, les séances commençaient toujours à trois heures, dans les fauteuils verts, sous les bustes de marbre et la frise dorée, sous les cartouches, que de noms, illustres ou oubliés, sous le plafond à caissons et les cinq fenêtres, on parla de peste bovine et de compas aéronautique, on écouta une note sur les groupes résolubles (des mathématiques, pas de la chimie), on eut des informations sur l’introduction de l’iodate de potassium dans l’économie animale et sur la baleine des Basques, mais il fut aussi question de sujets d’actualité comme le traitement de la pourriture d’hôpital par la poudre de camphre ou la crémation pour éviter les effets funestes qui résultent de l’accumulation des cadavres à la suite des batailles.

Les séances elles-mêmes étaient publiques. Y avait-il du monde ce jour-là? Y avait-il des habitués, qui venaient s’asseoir sur les banquettes vertes de la salle des séances pour assister aux disputes, dont certaines sont restées mémorables, qui animaient la salle ? Toujours est-il que ce jour-là la suite de la réunion fut « secrète ».

À cinq heures moins le quart, un huissier ferma donc la porte de l’antichambre. Ces messieurs ne s’étaient pas réunis en comité secret depuis le 31 octobre. Ils n’en commencèrent pas moins par adopter le procès-verbal de la réunion précédente. Puis l’on discuta une proposition « d’élargir le cercle [des] communications et délibérations [de l’Académie des sciences] et d’y faire entrer toutes les questions d’intérêt scientifique ». C’est Henri Sainte-Claire Deville, un spécialiste de l’aluminium et de sa production industrielle, assez connu à l’époque pour que le Barbicane de De la Terre à la Lune ait fait appel à lui six ans plus tôt pour le métal de son « obus » lunaire,
 

– Employer un autre métal que la fonte.
– Du cuivre ? dit Morgan.
– Non, c’est trop lourd ; et j’ai mieux que cela à vous proposer.
– Quoi donc ? dit le major.
– De l’aluminium, répondit Barbicane.
– De l’aluminium ! s’écrièrent les trois collègues du président.
– Sans doute, mes amis. Vous savez qu’un illustre chimiste français, Henri Sainte-Claire Deville, est parvenu, en 1854, à obtenir de l’aluminium en masse compacte.


C’est Henri Sainte-Claire Deville donc, légèrement en avance sur son temps, qui avait rédigé cette proposition. Au moins dix académiciens prirent la parole. Un homme politique, Félix Esquirou de Parieu, qui avait été ministre de l’Instruction publique et des cultes et qui avait fait voter la loi Falloux vingt ans plus tôt, assistait à la séance, comme membre de l’Académie des sciences morales et politiques, il fit lui aussi quelques observations. On renvoya la suite de la discussion à la prochaine séance.

Ainsi la réunion du comité secret dura-t-elle jusqu’à six heures et demie. Puis la porte s’ouvrit, ces messieurs sortirent de la salle, traversèrent l’antichambre, descendirent l’escalier majestueux, sortirent dans la cour rectangulaire, passèrent le premier porche pour entrer dans la cour d’honneur, passèrent le deuxième porche et rentrèrent chez eux.

La note du mathématicien Camille Jordan, Sur la résolution des équations les unes par les autres, presque huit pages, avec les tables de groupes résolubles, était trop longue, dépassait les limites réglementaires, mais on l’imprimerait quand même, avait-on décidé. Car la compagnie avait, cette année-là, peu de matière à publier. Le volume 72 des Comptes rendus, rendant compte des séances du premier semestre 1871, serait un des plus minces de l’histoire des Comptes rendus, à peine plus de neuf cents pages.
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Couverture : De la Terre à la Lune,
de Jules Verne

La figure du 13 mars :



Soit C une conique propre d’image non vide…