L’Académie des sciences et la Commune de Paris Michèle Audin

Ce qui s’est passé dans la salle des séances, je peux aussi l’imaginer, sans qu’il soit question de s’en souvenir, et vous le pourriez aussi, il vous suffirait de lire les Comptes rendus de l’Académie des sciences. Pour ce jour-là, vous pourriez même lire un autre compte rendu, celui que fit le lendemain dans son journal l’envoyé du Journal Officiel de la Commune. Parce que, ce jour-là, ce journal envoya son propre journaliste.

Par exemple, c’est Charles Delaunay qui présidait. Pourquoi lui et quelle est la règle en ces circonstances, je ne le sais pas avec certitude, mais il m’est facile de l’imaginer aussi, on doit faire appel au dernier président présent, mais Joseph Liouville, qui présidait avant Coste, n’était pas là, Claude Bernard, qui présidait avant Liouville non plus, et le précédent président était justement Charles Delaunay. Par contre, pourquoi ce n’était pas Hervé Faye, ça nous le savons sans faire appel à notre imagination, et c’est très simple, Hervé Faye était parti, il devait conduire, avait-il écrit dès le 31 mars, sa femme et sa fille dans leur famille. Hervé Faye habitait Passy, un des quartiers de l’ouest de Paris, qui allaient être les premiers bombardés par les Versaillais. Le 31 mars, c’était probablement plus par crainte de la Commune que pour fuir les obus versaillais que Faye était parti, pardon, avait dû partir précipitamment. Heureusement pour Faye, le journaliste eut du mal à entendre la voix grêle du Secrétaire perpétuel lorsque celui-ci lut sa lettre au milieu du bruit causé par la toux presque continuelle des assistants. Il ne mentionna pas, ne commenta donc pas le départ du vice-président. Comme narratrice omnisciente, je pourrais ajouter que Faye s’excusait :

Je vous prie de vouloir bien présenter mes excuses à l’Académie pour cette absence involontaire d’un seul lundi.

Quant à savoir s’il croyait vraiment que son absence ne durerait qu’un lundi, si les autres y croyaient…
La dispute entre Delaunay et Sainte-Claire Deville s’envenimait. Le second, qui contestait à l’Observatoire toute compétence en matière de météorologie, argumenta en relevant, dans le texte de Delaunay du 20 mars, le pléonasme « le minimum thermométrique le plus bas », ce qui, en effet, ne volait pas très haut. Le journaliste s’étendit sur la dispute, quel journaliste y aurait résisté? Il fut question du traitement des fractures des membres par armes à feu, à partir d’observations faites à Haguenau, grâce à la guerre, qui permettait de faire ce genre d’observations, de l’examen du sang dans le scorbut à Paris en 1871, examen effectué dans les hôpitaux militaires, la guerre toujours, de l’emploi du collodion riciné pour le traitement, entre autres maladies, du choléra. Le journaliste signala assez longuement ces études médicinales. Il confirma que M. le Professeur « Simon Newcombe, de Washington, analysa de vive-voix un travail sur le mouvement de la Lune autour de la Terre ». Il remarqua que l’accent américain de Newcomb était assez prononcé et ne saisit sans doute pas qu’il était question des perturbations de ce mouvement dues à l’action des autres planètes. Et on parla de mathématiques, avec une note de Saint-Venant sur les pressions et une autre de Boussinesq sur le mouvement des tiges et, oui, surtout, Michel Chasles, je devrais vous parler de Michel Chasles mais, narratrice compétente, je ne manque pas l’occasion de vous signaler qu’Adhémar Barré de Saint-Venant, dont il aurait été dommage de ne pas donner le nom en entier, un spécialiste de mécanique, était aussi l’homme qui avait eu l’idée de faire planter des arbres le long des avenues. Saint-Venant n’était pas présent mais Chasles oui, et il parla de la caustique et de la développée d’une courbe d’ordre m et de classe n, par le principe de correspondance. Ce que le journaliste prit soin de signaler à ses lecteurs, la Commune voulait, je vous le dis, l’élévation du niveau culturel et scientifique de la population, en ces termes :

M. Chasles communique une note sur la démonstration d’un théorème qu’il peut énoncer ainsi :
Quel est le nombre des normales qu’on peut abaisser d’un point sur une courbe d’ordre m et de classe n ?

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Couverture : le Journal Officiel
du 4 avril 1871

La figure du 3 avril :


M = (A B) $\cap$ (C D),