Le 20 mars, comme cela avait déjà été le cas les deux lundis précédents, tous les six, Hermite, Bertrand, Chasles, Delaunay, Élie de Beaumont et Faye, assistèrent à la séance. Parce que la vie n’était pas limitée à l’enceinte du Palais de l’Institut, imaginons-les sur leur chemin vers le quai Conti. Le brouillard du matin s’était levé, mais il faisait encore assez frais. Ce 20 mars 1871, sur les boulevards et dans les rues, la circulation avait repris son activité habituelle.
Charles Hermite habitait-il déjà 2 rue de la Sorbonne ? Il pouvait prendre la rue des Écoles, tourner sur le boulevard Saint-Michel, le descendre jusqu’à la Seine en passant devant la fontaine où l’archange à l’épée symbolisait, comme on le savait en ce temps-là, mais comme plus personne ne le sait, le triomphe de la bourgeoisie sur le peuple de juin 1848, et longer le fleuve jusqu’à l’Institut. Ou encore traverser le boulevard Saint-Michel et prendre la rue de l’École de médecine, la rue de l’Éperon, la rue Saint-André-des-Arts, la rue des Grands-Augustins, puis les quais. Ou plus simplement la rue de l’École-de-Médecine, la rue Mazarine… Pouvait-on alors entrer dans l’Institut par l’arrière ?
Joseph Bertrand habita au 4 rue de Tournon, pratiquement à Saint-Sulpice, sa paroisse. Mais en 1871, sa maison, qui brûla en mai, était rue de Rivoli. Où exactement dans la rue de Rivoli ? Venant de droite ou de gauche, il passait peut-être par la cour carrée du Louvre et le pont des Arts, sûrement pas plus de dix minutes.
Michel Chasles venait du passage Sainte-Marie (qui ne prit le nom de rue Paul-Louis-Courier qu’en 1879, un an avant sa mort). Par la rue du Bac, le quai Voltaire, le quai Malaquais, le quai Conti, vers la coupole, pas plus d’un quart d’heure, une promenade.
L’Observatoire, où habitait sans doute Charles Delaunay, puisqu’il y avait un logement de fonction pour le directeur, il y a toujours un logement de fonction pour le directeur, mais il y avait peut-être plus de personnels logés à l’époque, est un peu plus éloigné. Le chemin le plus direct, le long du méridien, s’imposait, mais Delaunay en ressentait-il l’urgence ? L’avenue de l’Observatoire, la traversée des jardins du Luxembourg où campait l’artillerie de la garde nationale, la rue de Seine, puis sous le porche pour faire l’économie d’un détour.
Secrétaire perpétuel, Élie de Beaumont logeait-il à l’Institut, dans l’aile de droite, du côté de la rue de Seine, au 25 quai Conti ? Où précisément ? Avait-il besoin de se munir de son parapluie ? Ah ! son parapluie ! Si vous le voyiez ! Il ne le quitte jamais, disait-on. Aucun guide moderne ne pourrait nous le montrer, ouvrant des portes, traversant des paliers, montant ou descendant des escaliers dérobés (ou non), prenant (ou pas) le passage discret au-dessus du deuxième porche, entre ses deux œils-de-bœuf, pour arriver dans l’antichambre.
S’il habitait déjà Passy, Hervé Faye ne venait sans doute pas à pied. Prenait-il une voiture de place ? Ou l’omnibus « américain » qui reliait le pont de Sèvres au Palais-Royal ? Ou peut-être ce jour-là, exceptionnellement, parce que le printemps arrivait, à pied, une promenade ? La rue Benjamin-Delessert et la rue Beethoven jusqu’à la Seine, l’avenue du Général-Billy, le pont d’Iéna, le quai d’Orsay, le magasin central militaire, qu’y faisait-on en 1871, la manufacture de tabac du Gros-Caillou avec son fronton, son bas-relief, et les jeunes femmes qui s’y intoxiquaient, dont certaines sans doute devinrent de ces « pétroleuses », que l’on craignit, haït et massacra, le quai Voltaire et le quai Malaquais.
Ces itinéraires inventés, à partir d’ailleurs d’adresses authentiques mais peut-être anachroniques, ces messieurs ont bien habité là, mais y habitaient-ils en 1871, voilà une question à laquelle la réponse ne sera pas donnée, ces itinéraires passent sous silence, à cause du choix particulier des six académiciens suivis, le chemin, les chemins du Muséum à l’Institut, par la rue Jussieu, la rue Monge et les quais, ou le boulevard Saint-Germain, le boulevard Saint-Michel et les quais, ou encore par la rue des Écoles, la rue Saint-Jacques et les quais, qu’empruntèrent ce jour-là plusieurs autres participants. L’un d’eux décida-t-il pourtant, même si le détour ne s’imposait pas, de passer par le sommet de la montagne Sainte-Geneviève ? Vit-il bien une barricade appuyée à la grille du Panthéon et à la mairie du VE arrondissement ? Était-elle vraiment armée de six canons de 7 ?
Quarante-quatre académiciens des sciences signèrent la liste d’émargement le 20 mars. Un peu plus de la moitié de l’effectif, un maximum absolu, depuis janvier et jusqu’à juin. Beaucoup moins qu’en période normale, une soixantaine de présents en moyenne, les trois-quarts de ces messieurs, pour les séances de mars des années précédentes, mais plus que pendant les périodes creuses des vacances, une trentaine de signatures en août et septembre. La réapparition de plusieurs des membres fut notée par le Journal Officiel de la Commune. Toutefois, si c’est ce même jour, le 20 mars, que la Commune fit paraître le premier numéro du Journal Officiel, dont le Comité central avait pris le contrôle et que l’on appela bientôt « l’Officiel », tout simplement, c’est seulement le 30 mars que l’Officiel publia cette nouvelle.
– Mais non, pas du tout !?!
La figure du 20 mars :
… et soient A, B, C, D, E, F six points sur cette conique.
Charles Hermite habitait-il déjà 2 rue de la Sorbonne ? Il pouvait prendre la rue des Écoles, tourner sur le boulevard Saint-Michel, le descendre jusqu’à la Seine en passant devant la fontaine où l’archange à l’épée symbolisait, comme on le savait en ce temps-là, mais comme plus personne ne le sait, le triomphe de la bourgeoisie sur le peuple de juin 1848, et longer le fleuve jusqu’à l’Institut. Ou encore traverser le boulevard Saint-Michel et prendre la rue de l’École de médecine, la rue de l’Éperon, la rue Saint-André-des-Arts, la rue des Grands-Augustins, puis les quais. Ou plus simplement la rue de l’École-de-Médecine, la rue Mazarine… Pouvait-on alors entrer dans l’Institut par l’arrière ?
Joseph Bertrand habita au 4 rue de Tournon, pratiquement à Saint-Sulpice, sa paroisse. Mais en 1871, sa maison, qui brûla en mai, était rue de Rivoli. Où exactement dans la rue de Rivoli ? Venant de droite ou de gauche, il passait peut-être par la cour carrée du Louvre et le pont des Arts, sûrement pas plus de dix minutes.
Michel Chasles venait du passage Sainte-Marie (qui ne prit le nom de rue Paul-Louis-Courier qu’en 1879, un an avant sa mort). Par la rue du Bac, le quai Voltaire, le quai Malaquais, le quai Conti, vers la coupole, pas plus d’un quart d’heure, une promenade.
L’Observatoire, où habitait sans doute Charles Delaunay, puisqu’il y avait un logement de fonction pour le directeur, il y a toujours un logement de fonction pour le directeur, mais il y avait peut-être plus de personnels logés à l’époque, est un peu plus éloigné. Le chemin le plus direct, le long du méridien, s’imposait, mais Delaunay en ressentait-il l’urgence ? L’avenue de l’Observatoire, la traversée des jardins du Luxembourg où campait l’artillerie de la garde nationale, la rue de Seine, puis sous le porche pour faire l’économie d’un détour.
Secrétaire perpétuel, Élie de Beaumont logeait-il à l’Institut, dans l’aile de droite, du côté de la rue de Seine, au 25 quai Conti ? Où précisément ? Avait-il besoin de se munir de son parapluie ? Ah ! son parapluie ! Si vous le voyiez ! Il ne le quitte jamais, disait-on. Aucun guide moderne ne pourrait nous le montrer, ouvrant des portes, traversant des paliers, montant ou descendant des escaliers dérobés (ou non), prenant (ou pas) le passage discret au-dessus du deuxième porche, entre ses deux œils-de-bœuf, pour arriver dans l’antichambre.
S’il habitait déjà Passy, Hervé Faye ne venait sans doute pas à pied. Prenait-il une voiture de place ? Ou l’omnibus « américain » qui reliait le pont de Sèvres au Palais-Royal ? Ou peut-être ce jour-là, exceptionnellement, parce que le printemps arrivait, à pied, une promenade ? La rue Benjamin-Delessert et la rue Beethoven jusqu’à la Seine, l’avenue du Général-Billy, le pont d’Iéna, le quai d’Orsay, le magasin central militaire, qu’y faisait-on en 1871, la manufacture de tabac du Gros-Caillou avec son fronton, son bas-relief, et les jeunes femmes qui s’y intoxiquaient, dont certaines sans doute devinrent de ces « pétroleuses », que l’on craignit, haït et massacra, le quai Voltaire et le quai Malaquais.
Ces itinéraires inventés, à partir d’ailleurs d’adresses authentiques mais peut-être anachroniques, ces messieurs ont bien habité là, mais y habitaient-ils en 1871, voilà une question à laquelle la réponse ne sera pas donnée, ces itinéraires passent sous silence, à cause du choix particulier des six académiciens suivis, le chemin, les chemins du Muséum à l’Institut, par la rue Jussieu, la rue Monge et les quais, ou le boulevard Saint-Germain, le boulevard Saint-Michel et les quais, ou encore par la rue des Écoles, la rue Saint-Jacques et les quais, qu’empruntèrent ce jour-là plusieurs autres participants. L’un d’eux décida-t-il pourtant, même si le détour ne s’imposait pas, de passer par le sommet de la montagne Sainte-Geneviève ? Vit-il bien une barricade appuyée à la grille du Panthéon et à la mairie du VE arrondissement ? Était-elle vraiment armée de six canons de 7 ?
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– Mais non, pas du tout !?!
pour « tourner la page »
et accéder à la suivante
cliquer sur le début de son titre
qui apparaît à doite de l’écran
Couverture : lettre de Gaston Darboux,
Correspondance de G. Darboux avec J. Houël
éditée par H. Gispert
Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques, 1987
photographie : l’archange de la fontaine Saint-Michel, MA
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photographie : l’archange de la fontaine Saint-Michel, MA
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… et soient A, B, C, D, E, F six points sur cette conique.