Les sept règles de Perec

 

En présence des textes de Perec, je cherche d’emblée le sens de l’ensemble, le centre de cette sphère révérée, germes et semences.

Espèce d’élève blême en dette envers Perec, je prends les rênes et me sers de menées de même genre. Je tente de mettre en scène les mêmes gestes, de répéter les mêmes percées. Je crève de gérer cette espèce de dépècement et de relève. Je m’en délecte et le déteste ; je m’endéleste et j’en reprends.

Je dépense les rentes de Perec.

Trêve de révérence. Présentement en selle, l’exégète se permet de repérer les règles secrètement présentes. Chez Perec, j’en égrène sept.

 

. Règle de réserve :

De temps en temps, pénétrées de respect, les Belles-Lettres se répètent, sécrètent des défets, sentent le renfermé ; l’encre est terne, les lettres et les termes pendent, blets… Cérès est excédée, Déméter vexée se met en grève (bel ensemble !). Excès de bergères et de bergers sélects, d’elfes, excès de jets de dés. Le vert des prés est en berne, cherté des blés en herbe sèche. Les textes mentent, ces espèces de dépêches (dépêches d’Ems, s’entend !). Les lèvres gercées empêchent de penser. Bescherelle en perd sensément ses bretelles. C’est l’échec.

Perec sent le vent, se rebelle et met des lettres en réserve, les belles Hélène de ses pensées. Ces lettres restent, le temps de tel texte, empêchées : le précédent créé, les perles se régénèrent et régénèrent le sens, ce serpent de mer… Descellées, elles désempèsent le verbe. Le texte cesse de végéter, fermente, et ce verre de vergelesses est de temps en temps légèrement verdelet. Perec éméché sème le vent et prélève ses tempêtes.

En sept termes et en cent : le texte, c’est le pèse-lettres.

 

. Règle d’émergence réflexe (règle d’engendrement) :

Perec ( échevelé, tête de crécerelle, lèvres enflées, le bec en verve, le bec en pente) met en perce le ventre des sens. Le rendement des lettres et des termes, prestement fédérés en textes, est excellent.

Ces denrées engendrent des mets de fête (très mêlés d’éléments berbères : le thé et l’essence de menthe), tels les “ Crêpes de crevettes en gelée ” et le “ Relevé de cervelle en Excellence ” (recettes de Berger, V. M.E., LXI), “ Fèves des Cévennes ”, “ Pêche Belle-Hélène ” et “ Gelée de Nèfles ” (desserts et entremets des Revenentes [tel] ).

Les bretzels de W précèdent le Bretzlee de V. M.E. (“ beretz ” génère “ bretzel ” et “ Peretz ”, B et T mêmes lettres, cf. W, VIII)

Cette dépense effrénée, cet empressement et ces ventrées déclenchent des excès de sens et des effets d’hébétement, des excès d’hébétement et des effets de sens.

Des déchets énervent de temps en temps l’entendement : ces errements restent celés. En effet, Perec s’empresse d’écrémer le fret en excédent, prend les thèmes de Webern et de Verecker, les encres et les détrempes de Klee, les nerfs fermes d’Éblé, et préfère geler l’émergence des sept de Thèbes, de cette femme étêtée d’Ernst, de Théétète et de Ménéxène, de Bethléem et de Sémélé… Je cherche bêtement Esther (et ses frères) chez les belles nénettes des Revenentes. Est-elle présente (elle et Phèdre, femmes de tête) c’est référence de lettrés. Cherche Médée désespérément.

Les Revenentes… Scène de genre : le nez trempé entre les lèvres, les dentelles et les fesses des femmes légères, les verges et les gemmes éméchées des mecs de l’évéché d’Exeter (des bêtes de sexe ! en ce tremblement, le clergé excelle et jette ses vêtements de prêtres) pénètrent en cent fentes et émettent lestement le sperme pérenne… Clef de cette véhémence, Esther, cette belle tête de femme, belle-mère et régente de Perec, est-elle présente en l’Estelle des Revenentes ? Est-elle Estelle ? Estelle est-elle de mèche ? Estelle érecte-t-elle ? Bel exemple d’excès de zèle et d’errement en ce recensement des règles.

 

. Règle de flemme (Règle de Thélème) :

Perversement, Perec se récrée en les règles même. Le spleen de créer est vertement éventé. Renversés, pêle-mêle, tête-bêche, les célestes crédences semées de kleenex, les Werther de western et les sectes celtes, les cervelles stressées des Genette, les herbes séchées des steppes (vers les genets penchent mes préférences), les esthètes éthérés de week-ends en mer Egée, les Perses empesés et sénescents. Emmerdement des lettres ? Permettez ! Les textes de Perec le démentent expressément.

“ Thélème clémente.” (Les Revenentes), référence empressée. Perec enlève lestement ce brevet d’Eden. “ Fé ce qe plé ” [tel]. Le clerc est en ce temps de genre écervelé.

 

. Règle de prélèvement :

Versé en Belles-Lettres, Perec se sert de frères de même trempe : Scève, Sterne, Verne (le Verne de chez Hetzel), Bellmer… etc. (Les Revenentes et V. M. E.). Enté de ses chères greffes exemptes de rejet, le texte de Perec répète cet hébergement.

En même temps, l’enchère née de ce zèle de reste, de cette entente et de cet entregent entre gendelettres membres de même cercle de recherche ( Bens, Berge…etc, etc ) est extrêmement présente. C’en est même dément.

Secrètement ensemencé, je pense en segments de vers célèbres enflés de lettres e : “ Cette vesprée, le vent se lève… Cette vesprée, le vent m’évente… ” Hélez les vers.

 

. Règle d’enfermement :

En Thélème même, Perec déserte le verger. Perec descend les herses, met les scellés : défense d’entrer. En vente, ce zeste de terre séchée : Perec le préempte, règle le cens et le terme, rejette les dégrèvements. Et le cercle sévèrement fermé, Perec descend vers le centre et crée l’événement.

Effet de serre.

Cet encerclement le presse de révéler le je lésé, démembré, le je éventré entre les dents de l’ère récente, le règne des mésententes, ce temps des pestes lentes et des femmes en cendres, des enfermements de Belzec (hé hé, le Belzec de Bette ?) et de Bergen-Belsen, entre celles des légendes, temps mêlés. Les vents d’est se lèvent et gèlent les tempes. Les fenêtres fermées exprès le réverbèrent. Tchen tente de lever le… secret éventé. Très décemment, Perec régresse, désherbe, s’enlève le derme, se fêle le cervelet, écrête ses herpès et ses vertèbres serves, se pète le bréchet, se crève le mésentère, déterre ses excréments. Le texte décèle le tremblement de ce ventre vergeté, en ébrèche les défenses. Perec et Lesseps percent les terres de l’être fermé.

Telle mère, telle détresse ; tel père, telle sécheresse… et Perec – W le révèle – est tellement père de ses père et mère ! C’est le bébé de Médée (Médée, mégère, c’est l’ère récente, l’ère sévère : Perec en est expert d’Ève et des dents !) et le cher benêt reste en scène, le temps de prendre cette belle épée et de relever l’être en herbe, ce ver de terre hébété de tendresse. Perec entend les chevêches perchées près des tertres en déshérence des père et mère brèche-dent. Regrets éternels, descente en l’enfer de “ l’extrême sentence ”, chez le Cerbère très détesté.

Le texte est le vêtement de ce secret. En texte est ex, ex de ex- et ex d’extrême et  d’excès, et ex de lex : ferme lex, sed lex. S’enfermer, légender cet enfermement, c’est, en germe, démêler le sens de ce rêve réel d’enterrement et de perte sèche.

En bref, Perec délesté ( les semelles de vent pèsent léger ) prend le temps de se redresser. Perec décentre l’Everest et ses névés secrets, se déprend de ce je et se permet de créer. Perec se venge, défend chèrement les restes de ses gènes, ses repères décédés, prend en levrette les Glemp d’Exeter encerclés, les démet, les mène pendre, cesse de désespérer de l’espèce.

 

. Règle de présence éphémère :

“ Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère. ” (Les Revenentes et, derechef, V. M.E., XCIX)

Perec entreprend de recenser des exemples d’éphémère : les rêves, les “ je me (remember) ” et tente des textes en temps réel. Le présent récent ne cesse de céder, s’empresse d’être cendre et pensée déréelle, d’être éphémère. Et tenter de rendre l’éphémère, d’en présenter le reflet, c’est tenter de relever les blessés et les pertes, tenter de remettre les membres fêlés.

Répété, l’éphémère précède l’éternel et, en même temps, le berce et le berne, le renverse et le perd. Perpette empeste les relents d’encens et les vesses délétères. Ex-vedette, l’éternel est défenestré. Même les péchés se rendent. Tremblez, essences ternes ! Chères essences, dressez les membres et relevez les têtes, chênes, hêtres, cèdres, tecks, mélèzes, trembles !

Éternel, je crève ; éphémère, je me redresse.

Dès Je me (remember), Perec émerge de ce Léthé (“ Les verts temps de l’enfence [tel] émergent de Léthé. ”, Les Revenentes…). En effet, “ Je me (remember) ” est très près de “ Je me remembre ”… et ce remembrement me semble nettement perpétré. Je me (remember), c’est Les Regrets de Perec et c’en est le legs.

Cette recherche des temps des pertes se déclenche en ce bref et très célèbre pré-texte : “ Éternellement éphémèrement je m’étends entre clebs et cerve. ” Les pertes de temps engendrent des pertes d’être. Entre elles et Perec, c’est l’enferrement. Perec prétend s’en dépêtrer, prêche le relèvement.

Je me rémembère (“ se rémembérer ” : dès Les Revenentes, Perec se sert de ce verbe)… Le texte est bref. Le prétexte est grêle, le référent léger (événements récents très réels et très bêtes, réel lesté de réel), frêle l’ensemble des éléments. C’est rêche et desséché. Trêve de der-des-ders le lebel entre les dents, trêve de tremblements de terre et de tempêtes en mer… Règne le flegme, le présent pète-sec de Vermeer de Delft et de Teste. Perec s’exempte de rechercher l’effet : des nèfles, cette prébende !

De telles réserves de tendresse réfrénée rendent les fées présentes. Entendent-elles le rester éternellement ? Je répète cette célèbre sentence : les fées s’entêtent.

Svelte bébé né de cette sécheresse revêche et de cet embrèvement, le sens est en effervescence : c’est le gré de l’erg. Et le texte précède le sens : c’est le secret des secrets.

Certes, le test de ce remède est désespéré ! Le sens est très pressé de se lever, de s’enlever et de se perdre en reflet tremblé. LES sens… Et l’Érèbe les pense en zèbres décédés. Perec le  sent – et persévère. Dépenses-recettes… “ ce repère Perec ” épelle les lettres des termes, se les ré-épelle, se les répelle et se les rémembère, se les repêche en belle étrenne, se les recrée en “ bel présent ”.

 

. Règle de dérèglement :

L’enchevêtrement des règles dérègle l’emblême externe, enténèbre les règles elles-mêmes. C’est l’ensecrètement des scènes. Entremêlées, les règles se démettent, légères et déjetées. Elles se perdent et dégénèrent en spectres. C’est, je le pense fermement, le sens secret de ces revenentes. Spectres et excès de présence de cette lettre exemptée (celle présente en le verbe être, en le je, en père, en mère, en Perec, en dextrement et pédestrement, etc…) se jettent des fléchettes empennées : entre Les Revenentes et le texte précédent, c’est l’exemple même de règle renversée.

De temps en temps, Perec enlève l’échelle, recherche les effets pervers, excepte. Et c’est exprès ! C’est l’entrée de l’élément rebelle. Entre ses dents, ses lèvres, je l’entends mettre en scène l’exemple d’épenthèse célèbre chez le Père Hébert et les décervelés : “ Merdre ! ”

 

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En l’espèce, le respect de ces règles sévères (respect de préférence extrême : l’être se prend en des rets serrés) tresse le texte de Perec. C’est “ le (je) des perles de verre ” (Hesse). C’est le “ SELF-FEEDER ”, le ferment des “ sept réglettes crénelées ” des Revenentes : le texte réglé becte ses règles.

Entre mévente et best-seller, Perec remet en selle les Belles-Lettres, remet en elles le sel éventé, le sel de mer et le sel gemme.

Je me retrempe des règles de cet excellent expert serré de près. Belle légèreté de Perec : elle relève de cette même excellence et, ce me semble, reste en exemple.

 

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N. B. Un premier état des Sept règles de Perec a paru dans Mélanges (Cahiers Georges Perec n°4), Éditions du Limon, 1990. Un deuxième dans La Bibliothèque oulipienne, volume III, Seghers, 1990.