[titre dans le tapuscrit]
Adrienne Weil était la fille de Brunswick. Elle était spécialiste des rayons X, elle était l’équivalent d’un maître ou d’un directeur de recherche au CNRS, elle dirigeait un laboratoire important de la marine. Elle m’a fait connaître Rosalind Franklin, au prénom shakespearien absolument délicieux, une fille d’une très grande beauté, aux yeux noirs comme des diamants, cette sorte de beauté qui est physique et qui est illuminée par l’existence d’une intellectualité.
C’était une personnalité très remarquable, et je l’avais senti tout de suite. Quand je l’ai connue, elle travaillait – toujours avec les rayons X – aux charbonnages d’Angleterre.
Ils avaient besoin d’une cristalographe et d’une spécialiste de rayons X à l’époque où l’Angleterre voyait son charbon fiche le camp, n’avait pas du tout de nucléaire à mettre à la place. Ils cherchaient à faire ce qu’on a renoncé à faire aux charbonnages de France, c’est-à-dire à récupérer les derniers morceaux de charbon de l’Angleterre sur lesquels elle s’est bâtie. Au moment où les Etats-Unis et l’Union soviétique prenaient le premier rang sur le plan de la marine et sur le plan de l’énergie, la pauvre Angleterre courait après son charbon. Donc, étude de la structure du charbon.
Nous avions eu une longue conversation, et j’avais étonné Rosalind Franklin par ma connaissance du charbon – au point de vue vulgarisation, bien sûr. Elle m’avait vraiment appris beaucoup de choses sur la structure du clairin, du vitrin et du durin, je voyais des avenues dans les morceaux de charbon, par où pouvaient passer des électrons. Elle m’avait impressionné par son intelligence, sa beauté et sa fermeté. Nous avons déjeuné deux ou trois fois ensemble, et une conversation avec elle ne manquait pas d’intérêt.
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Adrienne Weill était une physicienne française sur laquelle je ne sais pas grand chose, à part qu’elle a travaillé en Angleterre pendant l’Occupation.
Rosalind Franklin (1920-1958) était une physicienne anglaise (enfin) célèbre : elle a contribué à la découverte de la structure en double-hélice de la molécule d’ADN, qui a valu le Prix Nobel à Crick et Watson en 1962. Bien sûr elle était déjà morte et ne pouvait donc recevoir elle aussi ce prix, mais il semble que ses collaborateurs aient minimisé son rôle.
Il y a une polémique très intéressante et toujours en cours à ce sujet. Pour paraphraser Marx je dirais :
le machisme, ça n’existe pas, ce qui existe c’est l’Angleterre des années 50.
Ce qui est une digression, mais ne l’est plus si j’ajoute : et en plus, elle était vraiment très belle (comme la photographie le montre).