Je passais alors tout mon temps libre à la bibliothèque communale. C’est là que j’ai découvert une grande partie de la littérature populaire : Paul Féval, Rocambole, Ponson du Terrail et toute une série d’écrivains. Ce fut une découverte comparable à celle de la poésie anglaise. Je devais avoir dix ans. Certains de ces romans gardaient même leur couverture illustrée des romans à soixante-cinq centimes de chez Fayard. C’est la même série qui a donné plus tard Fantômas. L’un de ces romans m’avait attiré par sa couverture : on y voyait danser des squelettes en costume du XVIIIe siècle. Au premier plan, une dame et un chevalier – la dame, un squelette elle aussi.
J’avais été très impressionné. Puis les années ont passé. Je n’avais pas pu lire ce roman, je ne savais pas de qui il était, je ne savais plus le titre, je ne connaissais que la couverture. Petit à petit, j’ai eu l’impression que c’était un rêve que j’avais fait et que je n’avais jamais vu ce livre.
Or il y a quelques années, j’apprends par un ami qu’une personne venait de faire près d’Evreux un héritage dont elle prenait possession après un procès qui avait duré une cinquantaine d’années. C’était la succession d’un notaire très fortuné, un notaire balzacien si l’on songe à sa bibliothèque.
Cette bibliothèque contenait deux sortes d’ouvrages : une bibliothèque de notaire, comprenant des revues de droit et de jurisprudence, et une bibliothèque de romans, surtout des romans populaires. Ces héritiers avaient appris que j’étais assez connaisseur en romans populaires et que j’étais capable de leur indiquer ce qui avait de la valeur et ce qui n’en avait pas. Ils m’ont donc invité à venir faire une sorte d’expertise. Cette visite m’a laissé un curieux souvenir.
On ne pouvait entrer par la grande porte qui était complètement obstruée par la broussaille. On entrait donc par une petite porte de service et les nouveaux propriétaires venaient de faire débroussailler le chemin qui menait de cette porte à la maison ; à droite et à gauche le fourré était impénétrable. J’étais tout à fait enchanté de me trouver dans un endroit semblable. J’ai visité la maison avec beaucoup d’intérêt ; c’était une maison comme on en trouve dans les romans de Dickens. On montait les quelques marches du perron, puis encore quelques marches qui menaient au vestibule ; on montait alors cinq marches, puis on en redescendait dix, et l’on finissait par ne plus savoir à quel étage on se trouvait. On ne pouvait aller partout : certaines marches s’effondraient …
On m’invite enfin à voir la bibliothèque. Il y avait les premiers Fantômas. Mais pas les autres. J’ai donné mon appréciation sur toutes sortes de livres. Soudain je tombe sur ma fameuse couverture : La Baronne trépassée, de Ponson du Terrail. Au moment de partir, mes hôtes m’ont proposé un cadeau en remerciement. Je leur ai dit : « J’ai vu dans la bibliothèque La Baronne trépassée ; si vous ne le retrouvez pas demain, c’est que je vous l’aurai volé, ou que vous l’aurez vendu, ou que vous me l’aurez donné. » Ils me l’ont donné. C’est un roman assez mal écrit – comme tout Ponson du Terrail – mais très étonnant, fantastique.
J’avais été très impressionné. Puis les années ont passé. Je n’avais pas pu lire ce roman, je ne savais pas de qui il était, je ne savais plus le titre, je ne connaissais que la couverture. Petit à petit, j’ai eu l’impression que c’était un rêve que j’avais fait et que je n’avais jamais vu ce livre.
Or il y a quelques années, j’apprends par un ami qu’une personne venait de faire près d’Evreux un héritage dont elle prenait possession après un procès qui avait duré une cinquantaine d’années. C’était la succession d’un notaire très fortuné, un notaire balzacien si l’on songe à sa bibliothèque.
Cette bibliothèque contenait deux sortes d’ouvrages : une bibliothèque de notaire, comprenant des revues de droit et de jurisprudence, et une bibliothèque de romans, surtout des romans populaires. Ces héritiers avaient appris que j’étais assez connaisseur en romans populaires et que j’étais capable de leur indiquer ce qui avait de la valeur et ce qui n’en avait pas. Ils m’ont donc invité à venir faire une sorte d’expertise. Cette visite m’a laissé un curieux souvenir.
On ne pouvait entrer par la grande porte qui était complètement obstruée par la broussaille. On entrait donc par une petite porte de service et les nouveaux propriétaires venaient de faire débroussailler le chemin qui menait de cette porte à la maison ; à droite et à gauche le fourré était impénétrable. J’étais tout à fait enchanté de me trouver dans un endroit semblable. J’ai visité la maison avec beaucoup d’intérêt ; c’était une maison comme on en trouve dans les romans de Dickens. On montait les quelques marches du perron, puis encore quelques marches qui menaient au vestibule ; on montait alors cinq marches, puis on en redescendait dix, et l’on finissait par ne plus savoir à quel étage on se trouvait. On ne pouvait aller partout : certaines marches s’effondraient …
On m’invite enfin à voir la bibliothèque. Il y avait les premiers Fantômas. Mais pas les autres. J’ai donné mon appréciation sur toutes sortes de livres. Soudain je tombe sur ma fameuse couverture : La Baronne trépassée, de Ponson du Terrail. Au moment de partir, mes hôtes m’ont proposé un cadeau en remerciement. Je leur ai dit : « J’ai vu dans la bibliothèque La Baronne trépassée ; si vous ne le retrouvez pas demain, c’est que je vous l’aurai volé, ou que vous l’aurez vendu, ou que vous me l’aurez donné. » Ils me l’ont donné. C’est un roman assez mal écrit – comme tout Ponson du Terrail – mais très étonnant, fantastique.
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