Bande XIV. Face 1. XIV. 1
F. L. L. Vers 1930, j’avais commencé à reproduire des textes écrits par des scientifiques et décrivant les méthodes par lesquelles ils étaient parvenus à leurs découvertes. Textes rares : en effet, les scientifiques, comme les artistes, s’expliquent peu. Après avoir réuni ces textes, je m’étais efforcé de les réécrire de manière plus intelligente que l’auteur, du moins en vue de ce que je voulais faire. Vers 1936, l’idée d’axiomatiser et de formaliser les méthodes de recherche commençait à prendre forme.
J’avais une cinquantaine de méthodes, chacune étant décrite comme un ensemble de notions mises bout à bout. Mon idée était de faire un thesaurus de méthodes de recherche telles qu’elles étaient écrites par les chercheurs eux-mêmes ou par les philosophes ; mettre chacune sous forme d’un graphe, les étudier, puis faire une liste des notions qui interviennent, des opérations par lesquelles on enchaîne ces notions, voir enfin s’il n’était pas possible de trouver des règles permettant de réunir, ou d’intersecter, ou d’ordonner des méthodes de recherche. Si cette idée est valable, il faudra que d’autres la réalisent. Je crois que cette méthodologie, sans donner lieu à de grandes découvertes – qui sont toujours le fruit d’illuminations –, augmenterait énormément l’efficacité de la recherche ; en effet, la plupart des découvertes sont faites non pas par des génies mais par des gens intelligents qui ont bien travaillé. Cet instrument pourrait rendre les services de raisonnement – au sens mineur du mot – que rendent les ordinateurs.
J. M. L. L. Donc d’aller plus rapidement au point essentiel où il s’agira justement de briser la méthode en question.
F. L. L. Je voudrais m’expliquer sur un certain nombre de points sur lesquels on me crédite de mérites ou de particularités que je n’ai pas ou que j’ai autrement. Ainsi on m’accorde une grande compétence et une grande érudition dans le domaine du roman populaire – ce qui est exact – d’autre part une grande admiration pour ce même roman populaire – ce qui est faux. Il y a quelques romans dits populaires que j’admire beaucoup – Féval et Gaston Leroux. Mais il y en a une quantité qui font l’objet d’un culte chez un très grand nombre de gens qui me considèrent comme un des leurs, puisque je connais la question probablement aussi bien qu’eux. Mais je ne suis pas du tout d’accord avec eux. Par exemple, Fantômas, que je trouve horriblement mal écrit, bien qu’il ait d’excellentes qualités d’invention. Paul Féval et Gaston Leroux me semblent les seuls vrais « littéraires ». Je rejoins ici l’idée que j’ai déjà développée : je me sens très différent des gens aux côtés de qui je combats. Je ne sais pas s’il s’agit d’un effet du disparate ou de ma structure personnelle.