Plutôt que de revenir à des poètes que j’ai connus : Pollain [Follain MA], Guillevic, Ponge, je voudrais parler de la poésie, qui pour moi est beaucoup plus intéressante que les poètes que l’on peut fréquenter. De mes contacts avec la poésie, j’ai retiré le principe suivant : je ne peux pas comprendre que l’on puisse dire que la poésie est intraduisible et qu’on perd tout ou presque en cherchant à traduire un poète. Pour moi, la personne qui dit cela m’apporte la preuve qu’elle n’a aucune sensibilité poétique. Il est clair qu’on perd quelque chose à la traduction, mais il y a des poètes qui, même une fois traduits, laissent encore passer quelque chose de remarquable.
Sur le plan des idées bien sûr, mais sur le plan des émotions aussi. Il n’est que de voir les poèmes chinois traduits en français ; sur le plan des sonorités, on perd presque tout, tout sur le plan de la calligraphie. Mais je crois que les sentiments qui peuvent passer sont quelque chose que je ne trouve pas chez beaucoup de poètes français. Il est vrai que la poésie française n’est pas, et de loin, la première du monde. Je crois que la première serait probablement la chinoise. Si je pouvais la lire en chinois, je vous confirmerais mieux cela. Il y aurait aussi la japonaise.
Et puis la poésie anglaise. Je la lis très mal, mais en traduction, elle m’a apporté des joies et des émotions que je ne trouve presque jamais dans la poésie française, sauf peut-être chez des symbolistes, peut-être aussi chez des poètes de la Renaissance. Je connais par cœur La Sensitive de Shelley, qui est un poème absolument extraordinaire. C’est l’histoire d’une fleur, ce que ne feraient pas des poètes français en général, ou alors ils se contenteraient de faire un petit sonnet, comme Marceline Desbordes-Valmore, Shelley, ou Keats, ou encore Coleridge, les poètes lakistes, etc. Je me souviens avoir lu de Thompson un poème très court et dont je me suis souvenu instantanément après l’avoir lu. Il y parle d’un flocon de neige. Je ne connais pas de poète français qui considère qu’il vaille la peine de décrire très finement un flocon de neige avec son architecture intérieure, sa fragilité, son éclat, sa blancheur, sa brièveté de vie, etc. La littérature anglaise est pleine de semblables poèmes, même dans les périodes classiques.
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La Sensitive (début d’une traduction):
Une sensitive dans un jardin croissait ; et les jeunes
vents la nourrissaient de la rosée d’argent ; et elle ouvrait à la lumière ses feuilles semblables à un éventail, et les fermait sous les baisers de la Nuit.
MA
Il est question de Francis Thompson (1859-1907), un poète anglais, et de son poème (chrétien !!!) To a snowflake — texte à vérifier :
What heart could have thought you ? —
Past our devisal
(O filigree petal !)
Fashioned so purely,
Fragilely, surely,
From what Paradisal
Imagineless metal,
Too costly for cost ?
Who hammered you, wrought you,
From argentine vapor ? —
“God was my shaper.
Passing surmisal,
He hammered, He wrought me,
From curled silver vapor,
To lust of His mind —
Thou could’st not have thought me !
So purely, so palely,
Tinily, surely,
Mightily, frailly,
Insculped and embossed,
With His hammer of wind,
And His graver of frost.
Voir aussi le chapitre 44. MA
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