Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo


J. M. L. L. Reposons la question de façon un peu paradoxale ; pour que vous ayez pu mener une vie disparate, il n’était pas nécessaire qu’un grand nombre de gens autour de vous mènent une vie non disparate ? Par exemple qu’il y ait des mathématiciens comme Bourbaki, des grands maîtres qui ne font que jouer aux échecs, des gens qui ne faisaient que de la peinture ?

F. L. L. Il y a au fond trois possibilités. Dans ce qui m’est arrivé, j’avais besoin en effet d’une diversité répartie, c’est-à-dire de plusieurs spécialisations. L’utopie dont je vous ai parlé écarte peut-être les conflits. Dans notre société, si tout le monde avait été disparate comme dans mon utopie, je m’en serais peut-être très bien contenté ; j’aurais nourri ma disparité par des conversations ou des relations avec des disparates différents qui m’auraient tous apporté l’équivalent de ce que m’ont apporté les spécialisations dont je parlais.

Et même probablement plus, car je vois combien je tire peu partie de la grande majorité de l’humanité. Maintenant, j’en suis arrivé à un point où je ne tiens pas du tout à fréquenter des gens qui ne m’apportent rien.

J. M. L. L. Le fait qu’il y ait une partie de l’humanité dont vous ne tirez rien peut tenir à différents facteurs ; d’une part au fait qu’une grande majorité est sabotée en herbe, mais aussi au fait qu’implicitement ou explicitement il y a des domaines sur lesquels vous avez choisi de limiter votre disparate.

Par exemple, la cuisine. Si vous décidiez d’inclure la cuisine dans votre disparate, vous trouveriez sans doute chez une cuisinière ce que vous avez pu trouver chez Bourbaki. Ça pose la question des limites et des principes de choix de votre disparate.

F. L. L. En effet, dans mon disparate, je suis amené à négliger toute une partie de l’humanité. Mais dans l’utopie où tout serait réalisé en disparate, il est probable qu’avec une cuisinière, je pourrais parler d’autre chose que de cuisine.

J. B. G. Ce serait une société dans laquelle chaque élément aurait une sorte de spectre et où deux éléments quelconque auraient toujours une partie de leur spectre commune.

F. L. L. Oui, cela formerait ce qu’on appelle une clique en théorie des graphes. C’est en effet le genre de société que je souhaite.

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clique


Une clique en théorie des graphes est un (sous-graphe d’un) graphe dont deux sommets quelconques sont toujours reliés.
Comme dit Madame Ph(i)Nk0 dans Cosmicomics :


Mes enfants, si j’avais un peu plus de place, comme il me serait agréable de vous faire un dessin.


MA