J. B. Vous vous êtes beaucoup intéressé à la création programmée de musique, ne pourrait-on parler d’OUMUSIPO ?
F. L. L. Oui, c’est l’OUMUPO, il existe d’une manière un peu fantômale mais il existe quand même. J’ai créé l’OUMUPO, mais, faute de temps, je n’ai pas pu constituer autour de l’OUMUPO tout un cirque comme je l’ai fait pour l’OULIPO. J’ai simplement eu des conversations avec Michel Philippot, bien sûr, qui est, en plus, un bon musicien. Il existe pour la recherche musicale des groupes, le G. A.M., par exemple, il y a eu aussi le M. I. A.M., mais ces groupes sont très différents de l’OUMUPO s’il existait – il se trouvera peut-être des gens de qualité pour reprendre cette idée et faire de l’OUMUPO ce que j’ai essayé de faire de l’OULIPO, de faire mieux même, j’espère. Le but était de donner des structures nouvelles à la musique et pas du tout des inspirations nouvelles, et pas du tout de faire de la musique de qualité. Non pas que je n’aime pas la musique de qualité, c’est celle que je recherche, les œuvres, mais, les structures, c’est autre chose. De même, À l’OULIPO, nous avons inventé des structures et je ne connais pas encore de chef d’œuvre qui ait été fait sur ces structures. C’est extrêmement différent. Par exemple, l’inventeur – il y en a forcément un, finalement – de l’allegro de sonate avec premier thème, deuxième thème, passage à la dominante etc. n’est responsable d’aucune des œuvres qu’on a faites sur ces allegros. Certaines sont étonnantes, d’autres ne valent pas tripette et il y a tous les intermédiaires entre les deux. Si l’OUMUPO prenait forme – et il n’est pas dit qu’il ne prenne pas forme – il ne chercherait que des structures musicales nouvelles.
Je ne vois pour y arriver que de passer par des exercices acrobatiques qui assouplissent en quelque sorte le chercheur de structures. C’est une position très différente de celle de l’artiste, celui qui cherche à faire l’œuvre, à jeter un cri. Finalement, c’est le cri qui m’intéresse, mais en tant que OU.X.PO, ce sont les structures. Par exemple, j’ai proposé l’exercice suivant qui est une acrobatie, mais je crois que c’est une acrobatie qui aurait plu à Bach, par exemple, dont les fugues à huit parties sont extraordinaires comme complication intellectuelle ; cet exercice vous apparaîtra certainement acrobatique et canularesque – je fais beaucoup de réserves sur les jugements qu’on peut porter sur l’acrobatique et le canularesque. Il n’y a rien de plus canularesque et de plus acrobatique que l’acrostiche. Quand j’étais au lycée, tous les noms de mes profs sont passés en acrostiche. J’ai fait comme ça une centaine de poèmes qui, malheureusement pour la postérité, sont disparus à jamais. On peut donc estimer que c’est simplement un truc pour s’amuser dans les salons ou entre enfants. Il ne faut pas oublier que Villon a fait certaines de ses ballades en acrostiches qui sont des ballades aussi belles que les autres ; et dans le Livre des Psaumes, certains psaumes sont en acrostiche. Par conséquent, on ne peut pas trop juger d’après le caractère acrobatique d’une forme et d’une structure – ceci dit, voici ce que j’ai proposé à l’OUMUPO, à Philippot et à d’autres : c’est très classique, de la musique avec des notes dans le système diatonique etc., et des portées. Ce que je demande, c’est que le papier à musique soit transparent. Sur une feuille, vous mettez un allegro, même vivace, quelque chose de très rapide, soit que vous le composiez vous-même – ce qui est préférable – soit que vous le trouviez chez un compositeur existant. Sur l’autre feuille, un autre mouvement, très rapide également, presto très rapide – il faudrait que l’un des deux au moins soit composé par vous, sinon les deux. Il faut que ce soient des œuvres ayant une certaine valeur en elles-mêmes. Puis, vous superposez vos feuilles, et comme elles sont transparentes, on peut voir les notes de l’une qui recouvrent les notes de l’autre et celles qui ne recouvrent pas. (On s’arrange, bien sûr, pour que les notes et les temps soient sur la même verticale). Il y a donc des notes qui se cachent et d’autres, au contraire, qui ne se cachent pas. Je demande que les deux prestos soient tels que leur intersection forme un largo et que ce qui reste forme un autre presto. On peut essayer cela, et je suis sûr – il ne me démentira pas – que ça aurait intéressé Bach.
J. M. Est-ce que ça ne serait pas plus facile de partir d’un largo ?
F. L. L. Peut-être ! Pourquoi pas ! Je vous enrôle dans l’OUMUPO ! C’est possible que ce soit plus facile, je ne sais pas. Ce sont les idées qui manquent le moins mais les capacités d’en tirer des œuvres belles qui manquent le plus. C’est une autre chose.
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