Donc, je rentre en mai 45, je me refais une santé, je reprends mes activités, je fais paraître Les Grands courants, j’entre à l’École Supérieure de Guerre – la première fois qu’il y a un civil depuis Louis XV – et enfin j’entre à l’UNESCO en 1950. À l’UNESCO, j’avais en charge la division “Enseignement et popularisation des sciences”. Les deux aspects, enseignement et vulgarisation m’intéressaient. Mais au bout de quelque temps, j’avais acquis une réputation de « je-sais-tout ».
De tous les départements, département de la culture, département des sciences sociales, des sciences humaines, de la littérature, etc., on me téléphonait pour me demander des tuyaux. On me consultait notamment du département des sciences quand il y a eu des activités mathématiques. Or, vers 51 ou 52, les ordinateurs ont commencé à se répandre, mais d’une manière encore très timide. On ne pensait pas que toutes les entreprises auraient leur ordinateur, on pensait que les grands états auraient chacun le leur – ou deux peut-être, un pour les utilitaires et un pour les administrations.
Chaque pays créait un service des ordinateurs dépendant d’un ministère ou d’un autre. On a décidé de créer un centre international de calcul mécanique dont le siège était à Rome – après bien des débats et des luttes entre les pays d’Europe. On m’a demandé de m’en occuper.
Ça sortait de mon département mais, tout naturellement, on me confiait tout ce qui avait un caractère plus ou moins mathématique. Ça ne me déplaisait pas. On crée une commission internationale, bien sûr, elle doit se réunir à Paris. J’en ai pris tout naturellement le secrétariat et je me suis arrangé pour faire mettre dedans Fréchet et Borel.
Borel m’avait séduit par sa clarté. Son style me paraissait transparent. Comme du verre. Des années après, je me suis rendu compte qu’il n’était pas si transparent que ça. J’avais des relations amicales avec Borel et presque affectueuses avec Fréchet. Borel était un peu un empereur – un peu à la manière de Dieudonné maintenant. J’organisais les réunions avec le président au siège, avenue Kléber.
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Borel était peut-être un empereur, mais Dieudonné était, selon la terminologie de Bourbaki, un adjudant. Vu par une étudiante de ces années 70, il se comportait plutôt en pape qu’en empereur. MA