DES ECHECS ET DES LIVRES [ce titre se trouve dans le manuscrit]
Dans le monde des échecs on cherche à tirer de moi quelques confessions, et c’est à ajouter à la liste des livres que je n’ai pas écrits. Je vais donner, au magnétophone, quelques anecdotes à la British chess magazine, une bonne revue anglaise d’échecs, sur Alekhine, car ils préparent un très gros livre sur Alekhine.
Quand j’ai publié mon livre L’ouverture française qui est un livre d’un style nouveau dans la manière de concevoir la théorie des débuts et les échecs – il était assez unique en son genre, maintenant il a fait école – j’ai su qu’Alekhine avait été très intéressé. Le premier match Alekhine-Euwe, de 1935, avait été gagné par Euwe, puis, deux ans après, Alekhine ayant cessé de boire autant de whisky a gagné contre Euwe.
Alekhine avait du génie et Euwe n’en a pas, c’est un homme très gentil, très sympathique, c’est un gentleman, mais il n’a pas la classe d’Alekhine. Dans l’ouverture française, qui est un certain début é4 é6, j’avais recommandé une certaine manière de se servir de la dame blanche en g4 pour attaquer le pion g7, etc. qui me paraissait mériter d’être essayée.
Il n’y avait pas eu d’expérience connue là-dessus. Alekhine m’a envoyé un petit mot me disant qu’il avait essayé et gagné la partie – il ne suffisait pas de jouer mon coup pour gagner, il fallait ensuite savoir jouer, mais il l’avait jugé bon. D’ailleurs, personne n’a encore trouvé mieux dans cette position-là. Ensuite, quand je l’ai revu, il m’a dit : “Chaque fois que j’ai eu des ouvertures françaises, je suivais votre livre, c’est un bon livre.” Ceci se passait avant la guerre.
Après la guerre, j’ai été nommé expert dans un comité d’experts d’Euratom, le comité SEMEC – sémantique échiquéenne – pour un programme de partie d’échecs par ordinateur. On a créé un groupe d’experts européen au sens d’Euratom, il n’y avait pas d’Anglais, où chacun devait être un peu mathématicien et avoir des connaissances échiquéennes. C’était mal pensé parce que les mathématiques ne servaient pratiquement à rien là-dedans, les connaissances échiquéennes servent à condition de savoir s’en débarrasser – on mettait des obsédés des échecs qui étaient incapables de comprendre que pour faire jouer par ordinateur il ne faut pas suivre exactement les mêmes procédés. Bien connaître les échecs était utile, mais en être obsédé était naïf. Euwe était à la tête de ce comité. Il avait toutes les qualités requises : il avait été prof de maths, champion du monde d’échecs, mais surtout, il a du bon sens – et il dirigeait une petite affaire d’informatique. Il y avait parmi nous Claude Berge, le meilleur en mathématiques et qui joue bien aux échecs. Moi, avec mon disparate, j’étais le second [après Euwe] : je jouais mieux aux échecs que n’importe qui sauf Euwe et j’étais meilleur mathématicien que n’importe qui sauf Claude Berge. Nous étions une bonne douzaine. Nous faisions quelquefois de bons gueuletons à Amsterdam, à Bruxelles, à Milan ou ici même. Un jour Euwe me dit : “Dans le match avec Alekhine, je suivais point par point votre livre sur la française.” De sorte que, quand ils jouaient une française, tous les deux commençaient par jouer les coups que j’avais étudiés – après quoi c’est eux qui jouaient, naturellement, je ne veux pas me donner un autre mérite, ce serait ridicule.
Dans le monde des échecs on cherche à tirer de moi quelques confessions, et c’est à ajouter à la liste des livres que je n’ai pas écrits. Je vais donner, au magnétophone, quelques anecdotes à la British chess magazine, une bonne revue anglaise d’échecs, sur Alekhine, car ils préparent un très gros livre sur Alekhine.
Quand j’ai publié mon livre L’ouverture française qui est un livre d’un style nouveau dans la manière de concevoir la théorie des débuts et les échecs – il était assez unique en son genre, maintenant il a fait école – j’ai su qu’Alekhine avait été très intéressé. Le premier match Alekhine-Euwe, de 1935, avait été gagné par Euwe, puis, deux ans après, Alekhine ayant cessé de boire autant de whisky a gagné contre Euwe.
Alekhine avait du génie et Euwe n’en a pas, c’est un homme très gentil, très sympathique, c’est un gentleman, mais il n’a pas la classe d’Alekhine. Dans l’ouverture française, qui est un certain début é4 é6, j’avais recommandé une certaine manière de se servir de la dame blanche en g4 pour attaquer le pion g7, etc. qui me paraissait mériter d’être essayée.
Il n’y avait pas eu d’expérience connue là-dessus. Alekhine m’a envoyé un petit mot me disant qu’il avait essayé et gagné la partie – il ne suffisait pas de jouer mon coup pour gagner, il fallait ensuite savoir jouer, mais il l’avait jugé bon. D’ailleurs, personne n’a encore trouvé mieux dans cette position-là. Ensuite, quand je l’ai revu, il m’a dit : “Chaque fois que j’ai eu des ouvertures françaises, je suivais votre livre, c’est un bon livre.” Ceci se passait avant la guerre.
Après la guerre, j’ai été nommé expert dans un comité d’experts d’Euratom, le comité SEMEC – sémantique échiquéenne – pour un programme de partie d’échecs par ordinateur. On a créé un groupe d’experts européen au sens d’Euratom, il n’y avait pas d’Anglais, où chacun devait être un peu mathématicien et avoir des connaissances échiquéennes. C’était mal pensé parce que les mathématiques ne servaient pratiquement à rien là-dedans, les connaissances échiquéennes servent à condition de savoir s’en débarrasser – on mettait des obsédés des échecs qui étaient incapables de comprendre que pour faire jouer par ordinateur il ne faut pas suivre exactement les mêmes procédés. Bien connaître les échecs était utile, mais en être obsédé était naïf. Euwe était à la tête de ce comité. Il avait toutes les qualités requises : il avait été prof de maths, champion du monde d’échecs, mais surtout, il a du bon sens – et il dirigeait une petite affaire d’informatique. Il y avait parmi nous Claude Berge, le meilleur en mathématiques et qui joue bien aux échecs. Moi, avec mon disparate, j’étais le second [après Euwe] : je jouais mieux aux échecs que n’importe qui sauf Euwe et j’étais meilleur mathématicien que n’importe qui sauf Claude Berge. Nous étions une bonne douzaine. Nous faisions quelquefois de bons gueuletons à Amsterdam, à Bruxelles, à Milan ou ici même. Un jour Euwe me dit : “Dans le match avec Alekhine, je suivais point par point votre livre sur la française.” De sorte que, quand ils jouaient une française, tous les deux commençaient par jouer les coups que j’avais étudiés – après quoi c’est eux qui jouaient, naturellement, je ne veux pas me donner un autre mérite, ce serait ridicule.