Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

J. M. Il s’agit là d’un cheminement personnel, mais ce que je voudrais savoir, c’est : s’il y a des discussions oiseuses – la plupart le sont – elles n’ont donc pas d’impact ni d’effet, qu’est-ce qui peut faire changer d’avis en général, et vous, en particulier ?

FREUD VS LACAN

F. L. L. En ajoutant quelque chose au bout de l’arbre que je connais, quelque chose qui m’a convaincu – ou au contraire, qui m’a confirmé dans mon opinion. Par exemple, j’ai pris avec beaucoup de mépris la psychanalyse, ensuite, je me suis rendu compte qu’il fallait admettre quelque chose. J’ai admis avec un certain retard qu’il y avait quelque chose dans Freud, je me suis dit pendant une vingtaine d’années que c’était un charlatan. C’est un cas où j’ai changé.

J. M. Comment c’est venu ?

F. L. L. J’ai lu un peu plus Freud.

J. M. Ce n’est pas convaincant, des tas de gens ont dit l’inverse de Freud, il faut qu’il y ait eu d’autres éléments, des rencontres ?

F. L. L. Non, non. Des gens qui m’ont fait changer d’avis Je n’en vois pas… je me suis forgé mes avis par la réflexion, en entendant parler, en faisant des rapprochements entre les avis d’autres gens, mais en jugeant moi-même. Je ne me souviens pas avoir connu quelqu’un qui m’ait fait changer d’avis, non.

J. M. Pas forcément quelqu’un qui aurait voulu vous faire changer d’avis, ça peut être l’effet tout à fait indirect et involontaire d’une rencontre ou d’une discussion.

F. L. L. Oui. Ce qui a compté le plus pour moi, c’est ma manière de vivre, et j’ai toujours eu l’impression d’avoir tout le temps raison.

J. M. Il ne vous est jamais arrivé de retrouver quelque chose que vous aviez écrit et de vous dire : c’est incroyable ce que j’ai pu changer !

F. L. L. Non, absolument pas – mais j’ai assez peu souvent exprimé mon avis. Deux choses peuvent m’arriver dans mes écrits quand je les relis : je ne suis pas content de la manière dont j’ai écrit. Exceptionnellement, je suis content. Je me souviens avoir lu un livre sur les échecs d’un Espagnol. Il y avait une note en bas de page, une citation, et je me suis dit : c’est formidable ce que c’est bien ! Je regarde, c’était de moi. C’est vraiment très rare que je pense ça de ce que j’ai écrit, mais c’est arrivé, c’est vrai. D’habitude, je pense que c’est juste mais que ce n’est pas bien dit.

J. M. Je reviens sur votre relecture de Freud : pourquoi avez-vous eu envie de le [re ?]lire ?

F. L. L. Oh, j’ai envie de lire tout ! Mais ce n’est pas tellement la lecture de Freud qui m’a fait changé d’avis sur lui ; c’est plutôt son style de recherche, le style de sa pensée qui m’a convaincu que je n’avais pas affaire à un charlatan, mais à quelqu’un qui donnait des coups de sonde. Jung, par contre, me paraissait très faible. De même, en général, pour tous ceux qui sont venus après lui – souvent contre lui.

Je n’ai aucune admiration pour Lacan, que je ne ressens que comme un charlatan. Il y a trente ans, alors qu’il commençait à peine à être connu, il appartenait à un petit groupe de travail que j’avais créé à l’Unesco et qui travaillait sur les rapports mathématiques-sciences humaines. Il y avait là Guillebeau, Claude Berge, Rémi Chauvin, Benvéniste, Lacan, etc. Je me suis rendu compte tout de suite que dès que l’on prononçait un mot, il se mettait à fabuler sur ce mot sans même en donner une définition.