Entretiens avec François Le Lionnais Oulipo

Un cas un peu particulier, celui de La Fontaine. J’ai appris ses Fables par cœur quand j’étais au lycée, ça ne m’amusait pas et je pensais tout à fait de La Fontaine ce qu’en pensent Rousseau et quelques autres : ce sont des textes de vieillard qui ne croit à rien du tout, « Ne pensez qu’à vous-même, soyez prudent, soyez égoïste, etc. » Ça me choquait beaucoup. Lamartine était aussi, je crois, assez anti-La Fontaine de ce point de vue.


C’est une morale desséchée qui traduit peut-être la nécessité à cette époque-là de veiller à sa sécurité. Par la suite, beaucoup plus tard, j’ai appris à apprécier dans La Fontaine, la construction. Je ne sais pas si on a fait des vers aussi peu poétiques et aussi bien agencés. Puis, je me suis rendu compte qu’il y avait probablement en lui un vrai poète, qui suppose des sentiments. Dans Psyché : d’une part, il y a des poèmes tels que je les aime « Jusqu’au sombre soupir d’un cœur mélancolique… », d’autre part et surtout c’est un mélange de vers et de prose unique dans toute la littérature française, et peut-être dans les autres. On est dans un poème, tout à coup on est dans de la prose et on ne s’est pas aperçu de la différence, on revient dans un poème, toujours sans s’en rendre compte. Ce sont deux courbes qui ont la même tangente à ce point-là. Il a trouvé le moyen de faire une tangente commune à deux techniques différentes.



Il se révèle un peu et donne des aperçus sur ce que pouvait être cette société policée et policière de l’époque dans ses récits des réunions du Mouton Blanc – on parle de l’autocensure en ce moment, ce n’est rien du tout à côté de celle du XVIIème siècle qui pouvait amener un homme à se suicider parce que le roi n’avait pas daigné abaisser son regard sur lui – ce cabaret où se réunissaient La Fontaine, Racine et deux autres… ils étaient quatre copains. Il commence en disant : « Quatre amis vivaient au Parnasse.» Au Mouton Blanc, c’étaient des grandes bâfrées, des grandes rigolades, un peu comme les réunions de l’Oulipo, et en même temps on créait la théorie de l’école de 1660. On mélangeait le canular, la rigolade et l’élaboration de théories qui étaient pensées – je ne sais pas si elles étaient bien pensées, mais elles étaient pensées. Tout à fait à la fin de Psyché il montre les quatre amis sortant du Mouton Blanc et rentrant à Paris au moment où le soleil se couche, marchant et continuant à parler ensemble. Une petite chose nous révèle un Racine qu’on n’a jamais vu : à un certain moment, Racine s’est retourné et est resté sur place pour regarder le coucher de soleil. On ne trouve pas beaucoup de choses comme cela dans la littérature du XVIIème siècle, et ça révèle, pour moi, tout ce qu’on mettait sous le boisseau – Racine ne devait pas s’en priver, mais il ne fallait pas qu’il en parle.



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tangente commune


MA

[7 avril 1976 – François Le Lionnais / Jean-Baptiste Grasset BANDE III . Face 1] F. L. L. J’ai fait mes études secondaires au Collège de Melun, devenu depuis lycée de Melun, pendant la première…