Les chats

 

Les amoureux fervents des matins triomphants

Aiment également dans le cabinet noir

Les chats puissants et doux comme des chairs d’enfants

Qui comme eux sont frileux sous l’écorce des pierres.

 

Amis de la science et de Pasiphaé

Ils cherchent le silence et les cris de la fée.

L’Erèbe les eût pris au soir à la chandelle

S’ils pouvaient au servage adorer l’Eternel.

 

Ils prennent en songeant cette mâle gaité

Des grands sphinx allongés au Théâtre-Français

Qui semblent s’endormir aux feuillets souvent lus.

 

Leurs reins féconds sont pleins d’un  reste de verdure

Et des parcelles d’or d’une profonde nuit

Etoilent vaguement des vols qui n’ont pas fui.

 

 

 

 Le dormeur du val 

“ C’est un trou de verdure et le premier en France

Accrochant follement des feuilles et des branches

D’argent ; où le soleil étrange et pénétrant

Luit ; c’est un petit val que la blancheur défend.

 

Un soldat jeune, bouche au sourire si doux

 Et la nuque baignant du sommeil de la terre

 Dort ; il est étendu sous l’écorce des pierres

 Pâle dans son lit vert qui ne bat que pour vous.

 

 Les pieds dans les glaïeuls, comme un vol de gerfauts,

 Sourirait un enfant sur des pensers nouveaux.

 Nature, berce-le, cet âge est sans pitié.

 

 Les parfums ne font pas cette obscure clarté.

 Il dort dans le soleil, ô rage, ô désespoir

 Tranquille. Il a deux trous qui reviennent le soir 

 

 

 

 

L’albatros

Souvent, pour s’amuser, le Veuf, l’Inconsolé

Prennent des albatros, bien fourrés, gros et gras,

Qui suivent, indolents et toujours menacés,

Le navire glissant dans le champ des étoiles.

 

A peine les ont-ils épandus sur la plaine,

Que ces rois de l’azur, au sourire si doux,

Laissent piteusement une autre plaine blanche

Comme un vol de gerfauts traîner à côté d’eux.

 

Ce voyageur ailé, il aspire à descendre,

Lui, naguère si beau, que vouliez-vous qu’il fît !

L’un agace son bec que la blancheur défend,

L’autre mime, en boitant, une âme de vingt ans !

 

Le Poète est semblable à la nue accablante

Qui hante la tempête à l’ombre des forêts ;

Exilé sur le sol, à minuit demeuré,

Ses ailes de géant ont de grandes douleurs

 

 

El Desdichado

 Je suis le Ténébreux, et le premier en France,

Le Prince d’Aquitaine étrange et pénétrant.

Ma seule Étoile est morte et l’unique cordeau

Porte le Soleil noir que sa blancheur défend.

 

Dans la nuit du Tombeau, cette obscure clarté,

Rends-moi le Pausilippe au chapeau de nuée,

La fleur qui plaisait tant aux enfants du limon,

Et la treille où le Pampre a fini sa carrière.

 

 Suis-je Amour ou Phébus ? Je n’en suis pas moins homme.

Mon front est rouge encor de mon ressentiment ;

J’ai rêvé dans la Grotte où les lions vont boire

 

Et j’ai deux fois vainqueur calomnié la mort

Modulant tour à tour, à l’ombre des forêts,

Les soupirs de la Sainte et de Pasiphaé.