Tant de calme, tant de verdure, et si peu de voitures.

Non, malgré les apparences, nous ne sommes pas dans quelque banlieue cossue de l’Ouest parisien, encore moins dans quelque village endormi de la France profonde. Nous sommes bien dans Paris, à deux pas seulement de la Porte de Bagnolet, de ses embouteillages et et de son échangeur.

Ce quartier si calme est entièrement composé de charmants pavillons (une petite centaine, à vue de nez) qui ont été construits au début du siècle dernier. C’est là que la Mairie de Paris a décidé de placer une « rue Georges Perec ». Iniative hautement louable, mais choix qui laisse perplexe. On peut se demander en effet ce que vient faire ici, en plein XXème arrondissement, l’homme qui a tant parlé de ses liens d’enfant avec la rue Vilin, dans le XIXème, l’écrivain qui a immortalisé un immeuble parisien situé au 11 de la rue Simon Crubellier, dans le XVIIème.

Mais voilà, la rue Vilin n’existe plus, emportée par la restructuration complète de ce quartier, au flanc de Ménilmontant ; quant à la rue Simon Crubellier, elle n’existe, elle, que dans ce chef d’œuvre du roman moderne qu’est La vie mode d’emploi. Il fallait donc bien aller chercher ailleurs.

Le choix de cet emplacement n’en demeure pas moins surprenant, voire paradoxal.

En effet, tout ce quartier est connu sous le nom, d’ailleurs mérité, de « la Campagne à Paris», nom que lui avaient donné, dès avant sa naissance, les concepteurs même du programme de construction. Or, de notoriété publique, Perec avait assez peu de goût (c’est une litote) pour la campagne, dont il disait qu’elle était un pays étranger, où il se sentait un peu en exil.

Quant à la rue elle-même, elle correspond assez peu à la réalité urbanistique que l’on désigne généralement de ce nom, et que, dans Espèces d’espaces, Perec avait ainsi définie :« La rue est un espace bordé, généralement sur ses deux plus longs côtés, de maisons ;la rue est ce qui sépare les maisons les unes des autres, et aussi ce qui permet d’aller d’une maison à l’autre, soit en longeant, soit en traversant la rue ».

Or, comme si on avait délibérément cherché à faire mentir la définition perecquienne, notre prétendue rue est minuscule, et elle est coupée par un escalier, ce qui ne permet pas vraiment de la longer. Quant à aller d’une maison à l’autre, c’est bien difficile dans la mesure où il n’y a qu’une seule maison dont l’entrée principale donne sur la rue. Elle d’ailleurs la seule à porter un numéro, lequel est, assez mystérieusement, le numéro Treize, un chiffre qui ne fait pas partie des chiffres-fétiches de Perec, plutôt, comme on sait, porté sur le onze…

Je me suis alors demandé si l’idée qui avait présidé à ce choix n’avait pas été la volonté de rendre hommage à ce goût des records qui caractérise l’œuvre oulipienne de Perec (le plus long lipogramme, le plus long palindrome, etc.). A cet amateur de records, on aurait donc voulu associer une rue à records.

Mais après vérification, cette explication ne tient pas…Car, malgré les apparences, la rue Georges-Perec ne bat pas de records. Elle n’est pas la plus courte de Paris : avec ses 38 m de longueur,elle est largement battue par la rue des Degrés, chère à Jacques Jouet, qui n’en compte que 5, 75 ! Elle n’est pas non plus la plus étroite : elle est large de 4m, quand la rue du Chat qui pêche doit se contenter d’un tout petit 1,80 m…

Je me suis finalement rabattu sur une autre hypothèse : la singularité.A un auteur remarquable par sa singularité, il fallait une rue remarquable par sa singularité. A un auteur, par bien des côtés, unique, une rue, par bien des côtés, unique.

Il faudra bien que je me contente, pour l’instant, de cette hypothèse. Et vous aussi, d’ailleurs.