Je me permettrai de commencer par un aveu. La présente communication ayant d’abord été prononcée lors d’un colloque, le programme annonçait un titre assez neutre (« L’Ouvroir, la contrainte et le potentiel ») accompagné d’un résumé que je ne résiste pas au plaisir de citer in extenso : « Les Oulipiens, qui comme on le sait, sont peu portés sur la théorie, n’ont jamais pris la peine d’éclairer vraiment les deux notions qui servent de fondement à leur pratique d’écriture : celle de contrainte et celle de potentialité. Il nous semble qu’il est temps d’examiner, à travers quelques exemples que l’on peut considérer comme emblématiques, comment ces deux notions coexistent et s’articulent dans la littérature oulipienne depuis ses origines ». Vaste programme, assurément, et qu’il serait en effet grand temps d’entreprendre ! Or, et c’est là l’aveu qu’il me faut faire, ce titre aussi bien que ce résumé n’étaient que des leurres. Tenter de traiter dans l’espace imparti le sujet annoncé eût été, nul ne le niera, une impossible gageure. J’ai donc, sur la suggestion des deux organisatrices de notre rencontre, et avec leur amicale complicité, recouru à ce subterfuge dans un but bien précis : réserver à l’objet de nos débats, Jacques Roubaud, qui était présent parmi nous ce jour, la surprise de ne découvrir qu’à la dernière minute mon véritable sujet, qui le concernait très directement, et le véritable titre de ma communication, qui est « Quand le TROu a rencontré le TOuR ». Libellé qui paraîtra sans doute à plus d’un un tantinet sibyllin. Mais qui s’éclaire un peu si je précise que TOuR et TROu sont des acronymes que je me suis permis de forger pour désigner respectivement le « Tournant Oulipien de Roubaud » et le « Tournant Roubaldien de l’Oulipo ». Et qui s’éclaire tout à fait si je rappelle que nous fêtions, en 2006, le 40ème anniversaire de la rencontre de JR et de l’Oulipo. Rencontre qui m’apparaît rétrospectivement comme ayant été, par bien des côtés, décisive pour le devenir des deux protagonistes. J’ai voulu tirer profit de ma position d’archiviste pour aller dénicher, dans les vénérables cartons où François Le Lionnais entassait sans se lasser, liasse après liasse, les papiers de l’Oulipo, tous les documents conservés qui se rapportent, de près ou de loin, à cet événement. Ces documents, je me suis permis de les scruter pour y traquer des informations (faits, dates, indices de toutes sortes) et pour, en tant que de besoin, les comparer, les recouper, les croiser. Pour faire œuvre d’historien, en somme. C’est le résultat de cette traque que je livre ici.
 
1. JR avant 1966 : « oulipien sans le savoir »
 
Avant sa rencontre avec l’Oulipo, qui est JR ? C’est, au plan universitaire, un jeune (il a 33 ans) maître-assistant de mathématiques, qui a cette particularité peu commune de n’être devenu « matheux » qu’après s’être un temps essayé à des études de lettres. Au plan littéraire, c’est un poète qui a fort peu publié, mais qui avoue qu’il écrit quotidiennement des sonnets depuis 1962, et dont le travail d’écriture tourne autour de plusieurs projets : un projet de mathématiques, un projet de poésie, un projet de roman intitulé « Le grand incendie de Londres ». La dispersion de ces projets n’est qu’apparente et s’accompagne au contraire du sentiment intime d’une certaine cohérence[1].
Au printemps 1965, le 8 mai exactement, JR accomplit un grand pas dans l’avancement d’un de ses projets, le « projet de poésie » : il fait le choix d’un modèle de composition pour son livre en cours. Modèle peu banal, puisqu’il s’agit de rien moins que d’une partie de go, celle qui opposa les deux champions Masami Shinhoara et Mitsuo Takei[2]. Par ce choix, déclare-t-il plus tard, il se rapprochait des « principes d’une écriture sous contraintes explicites, formelles », et « se mettait à faire de l’oulipisme sans le savoir[3] ». Mais il ajoute aussitôt après : « Sans doute, si j’avais alors connu l’Oulipo, j’aurais pu aller beaucoup plus loin dans la rigueur et l’invention. Le regretterai-je ? en fait, non, je ne regrette rien ». Par la suite, il met au point les différents « modes de lecture » de son futur livre, celui qu’il aimera à désigner par cette périphrase descriptive : « le livre dont le titre est le signe d’appartenance dans la théorie des ensembles »[4].
Ce premier pas est suivi, au cours de l’année 1966, d’une nouvelle avancée : en quelques semaines, entre janvier et mars, JR achève la rédaction de sa thèse de mathématiques. Le début du « projet de mathématiques », qui se confondait avec cette thèse, est donc fini dès ce moment-là, même si la thèse n’est soutenue qu’en 1967 à Rennes. Mais, dans la mesure où le travail mathématique servait « de basse continue au travail poétique sur les sonnets »[5], cette avancée provoque un blocage du « projet de poésie ». JR ressent alors la nécessité de s’adresser « à quelque autorité éditoriale » pour s’assurer que le « projet de poésie finirait dans les mêmes conditions favorables que le premier (l’acceptation) ou qu’il ne pourrait pas finir ainsi »[6]. « L’autorité » en question sera tout naturellement Raymond Queneau, pour l’oeuvre duquel JR éprouve depuis longtemps respect et admiration. C’est donc à lui qu’est envoyé, en mars 1966, le manuscrit.[7] Commence alors une attente, qualifiée de « dure », bien qu’en réalité elle n’ait pas duré bien longtemps. Au bout de deux ou trois semaines arrive la réponse de Queneau, sous la forme d’une invitation. JR découvre donc, en avril, le minuscule espace qui servait de bureau à Queneau dans les vénérables bâtiments de la rue Sébastien Bottin. L’entretien porte essentiellement sur les mathématiques, en particulier sur les catégories, et c’est seulement au moment de l’adieu que Queneau annonce à son visiteur, un peu anxieux jusque-là, qu’il défendra ses poèmes auprès du comité de lecture de Gallimard. « Le projet de poésie » se trouve ainsi validé, quelques semaines seulement après « le projet de mathématiques ». Pour JR, un pas important vient d’être franchi.
 
2. L’Oulipo en 1966 : deuil et ouverture
 
L’Ouvroir, depuis sa création en 1960, a beaucoup travaillé, dans la bonne humeur et dans la discrétion[8]. Mais au cours de l’année 1966 survient un événement particulièrement malheureux : le décès accidentel et précoce de l’un des membres du groupe, Albert-Marie Schmidt. Une figure remarquable du microcosme oulipien : universitaire, critique littéraire, érudit, mais aussi poète et essayiste, il joua un rôle-clé dans l’entreprise oulipienne dès ses débuts. Sa profonde connaissance de l’histoire littéraire, notamment de la Renaissance et des Grands Rhétoriqueurs, lui permettait  d’être un inlassable inventeur de plagiaires par anticipation (tels que Chassignet, de Piis ou Papillon de Lasphrise). Au point que Queneau a pu le décrire comme « cofondateur de l’Oulipo dont il avait trouvé la dénomination[9]». On mesure le vide qu’a dû créer sa brusque disparition, la première qui affectait le groupe. On peut donc imaginer qu’en réaction, l’idée de procéder à une cooptation pour combler ce vide a commencé à germer dans l’esprit de certains Oulipiens. Il faut ici rappeler que jusque-là l’Oulipo ne s’était guère soucié de s’étendre, car Queneau, appuyé sur ce point par A.-M. Schmidt, jugeait « qu’au-dessus d’une dizaine de membres, aucun travail n’est plus profitable »[10]. Seule était admise l’élection de « correspondants étrangers » (qui du fait de leur éloignement ne brillent pas par leur assiduité [11]) et, éventuellement, l’utilisation d’« esclaves »[12].
 
3. Calendrier d’une ouverture
 
3.1. Août 1966
C’est au cœur de l’été 1966 que le nom de Roubaud apparaît pour la première fois sur un document oulipien, l’ordre du jour de la réunion du 23 août (Annexe 1). Cet ordre du jour, où l’écriture de FLL se reconnaît aisément, est intéressant pour l’histoire des pratiques administratives internes de l’Oulipo : les rubriques qui le constituent n’ont pas la forme canonique qu’elles auront plus tard. On n’y trouve donc ni « Création », ni « Érudition », ni « Action », ni « Menus propos », mais « Pratique », « Théorique », « Anecdotique », « Divers »[13]. Le nom de Roubaud s’y lit à deux reprises, au point 1 puis au point 2 de la rubrique « Pratique ».
 Examinons de plus près ces apparitions. Voici comment se présente le point 1 : « Revigorisation Littératurisation[14] Poèmes de Roubaud », et le point 2 : « Margat  .-.   Roubaud (Go) ». Il est certain à mes yeux, bien que l’ordre du jour ne le mentionne pas expressément, que ces deux interventions sont le fait de Queneau : c’est lui qui a pris l’initiative de faire connaître à ses amis oulipiens le travail poétique de Roubaud dont il avait pris connaissance peu auparavant, dans les circonstances que nous avons vues plus haut. Quelques détails méritent d’être relevés. La mention « poèmes de Roubaud » est juxtaposée à deux « notions[15]» auxquelles elle sert en quelque sorte d’illustration. Selon une coutume oulipienne déjà bien ancrée à cette époque, ces notions sont désignées par deux néologismes plus ou moins transparents : « revigorisation » et « littératurisation ». On peut accepter sans difficulté que la « revigorisation » en question est cette recherche d’une vigueur nouvelle dont les Oulipiens ont ressenti le besoin à la suite du décès d’A.-M. Schmidt[16]. Quant à la « littératurisation », on peut admettre l’hypothèse qu’elle désigne le procédé qui consiste à transformer en structure littéraire une structure empruntée à une autre discipline. Or, ce procédé est précisément celui qui est à l’œuvre dans les « poèmes de Roubaud ». La deuxième mention de Roubaud est explicitement liée au jeu de go, ce qui confirme, s’il en était besoin, que c’est bien cet aspect-là du travail roubaldien qui intéresse les Oulipiens. Il est fort regrettable que les archives n’aient pas gardé de traces plus précises de cette double intervention quenienne. Tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’elle a produit un certain effet sur l’auditoire puisque, pas plus tard qu’à la réunion du 4 novembre 1966, l’on va trouver Roubaud comme « invité d’honneur »[17].
 
3.2. Novembre 1966
Nous avons la chance d’avoir deux documents d’archives qui concernent cette réunion :
— l’exemplaire personnel de l’ordre du jour de FLL, dactylographié par lui avant la réunion, puis annoté et complété de mentions manuscrites au cours de la réunion ;
— une circulaire de FLL, adressée aux Oulipiens immédiatement après la réunion, et qui commence par ces mots : « Notre réunion de ce jour – brillamment illustrée par une passionnante communication de Jacques ROUBAUD » ; elle contient aussi la date de la réunion suivante (25 novembre) et l’annonce de la tenue du « Congrès du 6ème centenaire », les 26 et 27 décembre chez FLL.
L’examen attentif du premier de ces documents (annexe 2) permet de faire diverses remarques.
— Les Oulipiens présents sont : FLL, Blavier, Arnaud, Duchateau, Queval et Latis. C’est-à-dire que Queneau, qui avait été à l’origine de l’invitation faite à Roubaud, est, exceptionnellement, absent ce jour-là[18]. Il a une bonne raison pour cela : la maladie. Notons qu’il s’est dûment excusé et que l’ordre du jour prévoit de mettre aux voix « une motion de prompt rétablissement ».
— La communication de Jacques Roubaud est placée dans la rubrique « Création » (qui pour la circonstance a été reportée tout à la fin de l’ordre du jour), et elle est intitulée, comme on pouvait s’y attendre au vu des documents de la réunion précédente : « application du go ». JR n’a malheureusement gardé aucune trace écrite, aucun souvenir même, du contenu de cette communication. Mais on peut penser qu’elle ne fut pas strictement confinée au go, puisque FLL a éprouvé le besoin d’ajouter à la main, sur son exemplaire de l’ordre du jour, la mention : « le kokinnshu = anthologie impériale ». On peut donc en conclure que JR a dû dérouler devant les Oulipiens un vaste panorama de la tradition poétique japonaise, dont il était à l’époque un des rares connaisseurs en France, ce qui explique l’enthousiasme de FLL qui parle d’« une passionnante communication ».
Les suites de cette réunion ne se font pas attendre : dans le courant de ce même mois de novembre, les Oulipiens prennent le décision d’élire Jacques Roubaud. Evénement de taille, attesté par un document particulièrement précieux : une lettre de remerciement manuscrite adressée par JR à FLL en date du 27 novembre. Cette lettre se compose de deux parties bien distinctes. La première, une dizaine de lignes consacrées aux suites de la réunion du 4, nous apprend que JR a travaillé sur les « anthologies impériales », et qu’il a reçu des « envois passionnants de MM. LATIS et BLAVIER » qui « lui ont permis de se mettre au courant des premiers états et travaux de l’OU LI PO[19] », dont il « espère pouvoir suivre les développements ». La seconde partie est un simple post-scriptum de trois lignes : on y apprend que FLL vient de téléphoner à JR[20] pour lui annoncer qu’il a été coopté, ce dont l’heureux élu se déclare « extrêmement flatté ». « Plus que je ne peux dire », ajoute-t-il même fort habilement, ce qui le dispense d’aller plus loin dans l’effusion[21]. Cette cooptation a dû être décidée au cours de la réunion du 25 novembre. Il n’a donc fallu aux Oulipiens que trois semaines pour transformer le brillant invité en nouveau membre. Visiblement, ils étaient impatients de s’adjoindre les talents d’un jeune homme aux dons si manifestes, et qui incarnait si heureusement leur idéal de fusion harmonieuse entre littérature et mathématique !
 
3.3. Janvier 1967 : le congrès du VIème centenaire
Restait désormais au nouvel Oulipien à faire son entrée officielle dans le groupe. Une sorte de rituel d’initiation. Un heureux concours de circonstances a voulu que cet événement prenne place non pas au cours d’une des réunions mensuelles ordinaires, mais dans un contexte nettement plus solennel, c’est-à-dire à l’occasion d’un congrès, le congrès dit « du VIème centenaire ». Les Oulipiens avaient en effet l’habitude chaque année (on sait qu’une année de travail oulipien équivaut à un siècle, d’où la dénomination de centenaire) de se réunir en congrès deux jours durant : cela leur permettait d’examiner et de confronter plus à loisir leurs travaux, leurs découvertes, leurs projets. La date de ce congrès, d’abord prévu pour les 26 et 27 décembre, a été reportée de quelques jours et fixée au 2 et 3 janvier 1967[22]. Nous avons la chance d’avoir un projet d’ordre du jour dactylographié comme d’habitude par FLL avant le début du congrès, et complété ensuite de notations manuscrites (annexe 3). Ce document comporte deux mentions de Roubaud.
 D’abord dans la première partie (« Avant les propos »), dactylographiée. FLL a prévu de prononcer « une allocution d’ouverture » dont le point 1 est intitulé : « Importance et solennité du Congrès », et le point 2 : «Accueil et intronisation de Jacques Roubaud ». Il n’est pas interdit de penser que, dans l’esprit de FLL, ces deux points étaient assez étroitement liés, et qu’une partie au moins de l’importance et de la solennité du congrès étaient précisément dues à l’intronisation d’un tel nouveau membre.
La seconde mention, manuscrite, figure dans la deuxième partie, sous la rubrique « Création », où le nouveau membre s’est fait inscrire pour une intervention intitulée « Production automatique ». Un titre qui nécessite quelque explication, car il ne concerne pas une création de JR lui-même. Il renvoie à la « Production automatique de Littérature française » (en abrégé PALF), qui désigne un travail effectué par Georges Perec et moi-même au cours de l’année 1966. Il s’agissait d’un exercice de littérature définitionnelle, dont le principe était le suivant : étant donné un texte, remplacer chaque mot signifiant par sa définition, puis réitérer l’opération sur le nouveau texte obtenu, et ainsi de suite[23]. Ce travail était arrivé entre les mains de Jacques Roubaud dans les circonstances assez particulières. Perec et moi-même en avions donné lecture moins de deux jours auparavant, au cours d’une grande fête donnée par Jacques et Sylvia Roubaud dans leur appartement de la rue Notre-Dame de Lorette à l’occasion de la Saint-Sylvestre[24]. Au terme de cette lecture, Jacques, enthousiaste, nous avait pris à part pour nous informer qu’il souhaitait présenter notre texte à un petit groupe au sein duquel il venait d’être admis, et c’est ainsi que nous lui en avions remis un exemplaire. Ce qui est frappant dans cette affaire, c’est que le jour même où il est accueilli comme membre par les oulipiens, JR n’hésite pas faire état du travail de ses amis. Démarche qui ne resta pas sans conséquence, puisqu’elle allait amener l’Oulipo à faire un pas de plus vers l’ouverture, comme nous allons maintenant le voir à partir d’une série de nouveaux documents.
 
3.4. Mars-juin 67 : Perec
Dans une convocation datée du 6 mars 1967, FLL annonce que la réunion prévue pour le 22 mars aura pour invité d’honneur « Perec amené par Roubaud » (sic). Cette annonce provoque des réactions de Noël Arnaud et de Jacques Bens, qui regrettent de ne pouvoir être là pour accueillir un invité qu’ils disent tous deux tenir en grande estime.
Dans une lettre de JR à FLL datée du 18 juin et consacrée essentiellement au jeu de go, figure un post-scriptum que je reproduis ici : « J’ai transmis à Georges Perec la proposition qui lui est faite d’appartenir à l’Oulipo. Il en est très honoré et ravi »[25]. L’élection a eu lieu, très vraisemblablement, au cours d’une des deux réunions qui ont précédé cette lettre : celle du 16 mai ou celle du 3 juin. Mais il me plaît d’opter pour le 16 mai, parce c’est une des rares réunions auxquelles Marcel Duchamp fut présent.
 
Conclusion : le TROu et le TOuR
 
Ainsi, entre novembre 1966 et mai ou juin 1967, c’est-à-dire en six mois environ, les Oulipiens, qui pendant les six précédentes années s’étaient montrés plutôt frileux en matière de cooptation, n’ont pas hésité à s’adjoindre deux nouveaux membres. Ils ne s’arrêteront pas là. L’ouverture, comme on sait, continuera au cours des années suivantes, et parmi les nouveaux cooptés, beaucoup l’ont été sur la suggestion de Roubaud et/ou de Perec. C’est ce que je me suis permis d’appeler ici le TROu (Tournant Roubaldien de l’Oulipo).
Quant au TouR, le Tournant oulipien de Roubaud, laissons Roubaud lui-même en parler : « Mon entrée à l’Oulipo a décidé du reste de ma vie de joueur du langage (et, je m’en rends compte a posteriori, d’une bonne partie des années qui ont précédé). Pas seulement en bouleversant peu à peu nombre de mes idées antérieures sur la composition de poésie (sans oublier la prose), sur la nature de la littérature, du langage… »[26]. Qu’ajouter à cet aveu ?
 
[1] Sur les données concernant cette période, voir Jacques Roubaud, Poésie : , Seuil, « Fiction & Cie », 2000.
[2] Voir la Go Review, Nihon-kiin Chuo-Kaikan Monthly, Vol. 5 n° 4, avril 1965, p. 14-40.
[3] Poésie :, p. 501.
[4] Poésie :, p. 520
[5] Ibid., p. 519.
[6] Id.
[7] Notons au passage qu’il s’agit d’un manuscrit au sens propre du mot, rédigé d’une petite écriture ferme, et tellement lisible qu’il sera utilisé tel quel par les services techniques de Gallimard pour la préparation du livre.
[8] Pour la période 1960-1963, voir les comptes-rendus publiés par J. Bens chez Christian Bourgois en 1980, et republiés, sous le titre Genèse de l’Oulipo, au Castor Astral en 2005.
[9] Dans les « témoignages » figurant en tête de l’ouvrage posthume d’A-M Schmidt, Etudes sur le XVIème siècle, Albin Michel, 1967, Queneau y rappelle aussi qu’il avait eu le même psychanalyste que Schmidt et que cela avait développé en lui « un sentiment de fraternité à son égard ».
[10] Voir la circulaire n°4 du 13 février 1961, in Genèse de l’Oulipo, op. cit., p. 45
[11] Rappelons, à titre d’exemple, que le plus illustre d’entre eux, Marcel Duchamp, fut élu le 16 mars 1962 et ne participa à sa première réunion que le 25 juin 1965.
[12] C’est ainsi qu’étaient désignés des collaborateurs occasionnels, généralement jeunes et de bonne volonté, appelés pour accomplir les besognes auxquelles les « fondateurs » (qui tenaient beaucoup à ce titre et aux privilèges intellectuels qu’il impliquait) n’avaient ni le temps ni l’envie de s’attaquer. On trouve trace dans les archives de divers «esclaves», au nombre desquels Guy Le Clech.
[13] L’homéotéleute –ique a donc précédé l’homéotéleute –tion.
[14] Lecture incertaine, mais fortement probable.
[15] Je ne sais trop quel autre nom leur donner.
[16] Un néologisme voisin, mais de même sens, « revigoration », se retrouve dans un document que nous verrons plus bas, l’ordre du jour du Vème Congrès.
[17] La décision de lui adresser cette invitation a dû être prise au cours de la réunion du 7 octobre. Exceptionnellement, il n’y avait pas eu de réunion en septembre.
[18] On sait que l’assiduité de Queneau, tout le temps que sa santé le lui permit, fut quasiment sans faille.
[19] Il s’agit probablement des publications disponibles à cette époque : d’une part, le Dossier 17 des Cahiers du Collège de ‘Pataphysique, intitulé Exercices de Littérature Potentielle, publié sous la responsabilité de Latis d’autre part le numéro 66-67 de Temps mêlés, intitulé OU LI PO, publié sous la responsabilité de Blavier.
[20] Il était donc possible, en ce temps-là, d’avoir JR au téléphone !
[21] Je ne puis m’empêcher de penser qu’en réalité, c’est seulement à l’annonce de sa cooptation que JR a éprouvé le besoin d’écrire une lettre de remerciement et que le délai qui est supposé séparer les deux parties de la lettre est pure fiction.
[22] La convocation adressée à JR par FLL comporte cette phrase mystérieuse : « Merci pour la documentation éventuelle sur la ménagerie d’Antoine ».
[23] Voir Oulipo, La littérature potentielle, Idées Gallimard, 1973, 119-140
[24] Pour plus de détails, voir la préface à Presbytère et prolétaires. Cahiers Georges Perec, 3, éditions du Limon, 1989.
[25] On relèvera avec intérêt le goût particulier que JR semble avoir pour les post-scriptum….
[26] J. Roubaud, La Bibliothèque de Warburg, Seuil, « Fiction & Cie », 2002, p. 246.
Référence : Marcel Bénabou, Quand le TROu a rencontré le TOuR. Roubaud à l’Oulipo, colloque, lieu, date.