Michèle Audin

Tu te souviens de la liste des rues du onzième arrondissement, que j’avais écrite à partir de l’index des rues (de ce plan Leconte, justement) et actualisée un peu plus tard ?
Oui, tu n’as jamais essayé de publier ce livre.
Non, et c’est trop tard maintenant, mais j’aimais bien cette liste. Moi aussi, j’aimerais la relire. Voici.


une autre idée était de regrouper les noms des rues par thèmes ;

les animaux, le Coq, la Baleine, le Cheval-Blanc, les Lions, l’Ours, c’est bien ici un ours, comme en témoigne la sculpture « À l’ours » sur le mur, à l’arrêt « Ledru-Rollin » du 76, et pas des oies, comme dans le IIIe arrondissement, il n’y a pas d’éléphant, on pense pourtant ici à celui qui abritait Gavroche, place de la Bastille, même s’il était plutôt du côté du XIIe arrondissement ;

les artisans et artistes, Boulle, on pouvait s’y attendre, dans ce quartier de meubles, aucun nom de tailleur, de maroquinier, de casquetier ou de fourreur, des anciens métiers de l’arrondissement aussi, plus côté Popincourt et Belleville, grâce auxquels il y avait là une assez grande concentration de juifs, bien commode, le 14 mai 1941, plus d’un an avant les célèbres grandes rafles de juillet 42, trois mille sept cents juifs étaient raflés dans le seul XIe arrondissement, rassemblés au gymnase Japy et déportés, je digresse, mais était-ce évitable ?, les artisans disais-je, Bréguet, Japy, Maillard, qui avait inventé, en 1731, une voiture automobile (à pédales), Roubo, Robert Houdin, le célèbre illusionniste et fabriquant d’automates, mais pas Vaucanson, qui aurait eu sa place aussi, Keller, orfèvre, sculpteur et fondeur, le peintre Marcel Gromaire, Dranem, le chanteur de caf’conc’, un autre musicien, le compositeur Pasdeloup, on l’imagine en chef d’orchestre, dans un pianissimo, à pas de loup ;

deux batailles anciennes, on remonte jusqu’à Philippe-Auguste qui défit toute une coalition à Bouvines, et à Saint-Louis qui vainquit les Anglais à Taillebourg, il y en a eu de plus modernes et de plus sanglantes, des batailles, dans le XIe, mais on n’a pas donné leurs noms à des rues, on imagine, rue de la barricade du Château d’Eau ;

les couleurs, le Chemin-Vert, où un célèbre crime se produisit en 1800, sans que l’on ait jamais su qui l’avait commis ni pourquoi, et où Parmentier devait mourir, un bon choix, et l’Allée Verte, qui témoignent de ce que le quartier a aussi un passé maraîcher, le passage Rouge, qui ne s’appelle pas comme ça parce qu’il était situé dans le Paris rouge mais plutôt à cause d’un colorant, peut-être la garance, le passage Mauve, mais pas la rue Bleue, qui est dans le IXe ;

les couvents, le Bon Secours, où est maintenant la cité du Couvent, les Filles du Calvaire, le Grand-Prieuré, celui du Temple, et une bienfaitrice, la duchesse de Mercœur, une croix, la Croix-Faubin, où il y avait autrefois un calvaire, c’est à cet endroit qu’eurent lieu, pendant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, les exécutions capitales, publiques, pour les condamnés, c’était pratique, la guillotine juste devant la prison ;

un criminaliste, Servan ;

les écrivains, connus ou oubliés, Alexandre Dumas, qui est là deux fois, Beaumarchais, Jules Vallès, écrivain, journaliste et communard, les Goncourt, si j’adorais qu’il y ait une rue Jules Vallès, j’aimais moins qu’il y ait une rue des Goncourt, toute petite, mais qui a donné son nom à une station de métro, Jules Verne, dont j’ai tout lu ces années-là, Jean Aicard, auteur de Dom Juan, Auguste Barbier, auteur de Quatre-vingt-treize, Sedaine, l’auteur du livret de l’opéra Richard-Cœur-de-Lion,


Je sens mon cœur qui bat, qui bat
Je ne sais pas pourquoi

c’est lui, Scarron, abbé et burlesque, Jean Macé, qui a donné son nom à tant d’écoles primaires, ici c’est une rue, et, central, Voltaire, il y a aussi des journalistes ou des publicistes (comme dit la plaque de la rue Charles-Delescluze), Louis Bonnet, Charles Delescluze, Jules Vallès (déjà nommés) et Camille Desmoulins ;

29 décembre 2014
(à suivre)


PS. Il y a une légende de l’illustration dans le post-scriptum de la page images.