Michèle Audin

Le dépliant Grenoble-Dauphiné-France affiche la « route historique Stendhal ». Suivent différentes informations comme savent en rédiger les offices du tourisme – « Grenoble, une ville en avance sur son âge », ce genre de choses –, des encarts publicitaires, une liste des rues, un plan quadrillé, sans échelle, sur fond gris foncé, ce qui n’en facilite pas la lecture. Le Drac et l’Isère sont en bleu. Sur l’autre face un plan du centre sur fond gris avec rues piétonnes en rouge, parcs en vert et l’Isère en bleu. Ce plan a été tiré à 100 000 exemplaires en 1992 (dans les annonces publicitaires, les numéros de téléphone ont huit chiffres).
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Le titre du plan est imprimé en bleu sur fond gris foncé, il faut un peu d’efforts pour le lire, « Office de tourisme du grand Grenoble », il surmonte la photographie d’une colonnade blanche derrière un parterre de fleurs. Le fond est gris foncé, il y a aussi du bleu (l’Isère), du vert (les parcs), du jaune (les rues piétonnières) et de l’orangé (Grenoble historique), des pictogrammes (un éléphant, un TGV), des surimpressions rouges (la ligne de tram, un itinéraire piétonnier qui mène à un sommet où arrive aussi un téléphérique), une échelle (1 :95 000 environ), une légende, et même une date (12.97) dissimulée dans un coin. Le verso contient des annonces publicitaires, la liste des principales rue [sic], et un plan plus général de la ville et de son agglomération, sur fond gris, sans échelle.
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Le plan est une de ces feuilles carrées que l’on vous donne à la réception des hôtels. Le fond est orangé, il y a aussi du bleu (l’Isère), du vert (les parcs), du jaune (les rues piétonnières) et du gris (Grenoble historique), des pictogrammes (un éléphant, un TGV), des surimpressions rouges (la ligne de tram, un itinéraire piétonnier qui mène à un sommet où arrive aussi un téléphérique), une échelle (53 mm représentent 500 m)), une légende, et même une date (12.98) dissimulée dans un coin. Le verso contient des annonces publicitaires, la liste des principales rues du centre ville, et un petit plan grossi du centre, sans échelle.


À part la correction de la faute d’orthographe, seules les couleurs ont changé. Bizarre, ce fond gris. Quelqu’un a dû se dire que c’était un peu tristounet. D’où l’orangé. Mais ce n’est pas vraiment plus lisible.
Fiordiligi et Guglielmo ont des amis qui vivent dans cette ville et c’est la raison pour laquelle il leur arrive de s’y rendre, pour laquelle ils en possèdent ces trois plans. Leurs amis aiment beaucoup vivre à Grenoble, mais parce que c’est vraiment commode quand on aime le ski.

Cette année-là, se souvient Fiordiligi, j’ai pris un avion pour aller à Grenoble. J’avais emporté un livre (elle emporte toujours un livre). C’est un souvenir avec digression (et même avec digressions). Le livre, c’est celui qu’elle avait offert à Guglielmo pour son anniversaire, quelques jours auparavant, et qu’elle avait choisi, pas vraiment parce que l’auteur venait d’avoir le Prix Nobel, mais parce que ceci avait mis le livre bien en évidence sur les tables des librairies. Et voilà, Guglielmo n’avait pas eu le temps de le lire, et il y avait une urgence, un livre pour l’avion. Le vol se trouva être beaucoup trop court et Grenoble prit cette fois-là des allures de Lisbonne (une sorte de comble), s’effaçant devant la ville assiégée, et surtout devant le regard que porte sur cette ville le correcteur d’un livre d’histoire.
Ce correcteur, un jour, écrit « non » et par le pouvoir d’un mot, il recommence sa vie. Liberté.

C’est l’idée que l’on peut faire des choix et que plusieurs vies étaient, sont toujours, possibles, qui a profondément touché Fiordiligi.

Mais Grenoble ? Nous sommes ici à bonne école : même Stendhal, que la ville et sa région revendiquent, détestait Grenoble – il pensait même que l’étude des mathématiques pourrait être un moyen de la quitter.
10 août 2014
(à suivre)


 $\Rightarrow$  contraintes, Lisbonne (et suites)

Comme Fiordiligi n’était pas à Grenoble
lors de la mort de Stendhal,
c’est une image de Lisbonne
à la mort de José Saramago
qui illustre cet article