Comment pourrait-on, de même, lire sur un plan la circulation infernale, avec ses bruits, les codes des avertisseurs des motos qui disent « vas-y » ou « je passe » mais qui disent toujours quelque chose, et qui sont des milliers à le dire en même temps, au même endroit. Qui n’a pas vu les motos démarrer à un feu au Vietnam (enfin, celles qui s’y sont arrêtées) n’a rien vu.
Fiordiligi est allée trois fois à Hanoi, trois années de suite. La densification de la circulation, d’une année à la suivante, était visible, évidente même. Un jour, tout va s’arrêter, dit-elle. La dernière fois que j’y suis allée, le port du casque venait d’être rendu obligatoire. Un changement sensible dans le paysage urbain, à cause des couleurs, auquel le plan est totalement aveugle. Des pastels. Les jeunes femmes, qui portaient déjà de longs gants et des masques (pour se protéger du soleil et ne pas bronzer, ce qui les aurait fait ressembler à des paysannes) se sont mises au casque rose nacré.
Et puis, c’est qu’il faut les traverser, ces rues. La technique est, en principe, d’y aller, de se lancer. Pas vite, mais régulièrement et sans aucune brusquerie. Autour de vous, les motos calculent leur trajectoire en fonction de la vôtre, elles vont passer derrière vous. Si vous vous arrêtez, si vous hésitez même, vous perturbez tous ces beaux calculs, ce qui est bien sûr très dangereux. Tactique idéale et efficace. Vous commencez même à y prendre plaisir, à goûter une certaine forme de sérénité, à avancer en regardant droit devant vous sans vous préoccuper du flot qui s’entrouvre sans ralentir pour vous laisser passer.
Sauf qu’il y a aussi des voitures. Une fois, dit Fiordiligi, je devais être fatiguée, je suis restée au bord, sans oser me lancer. Je devais attendre depuis plusieurs minutes. J’y serais peut-être encore, si une toute petite dame vietnamienne âgée n’avait compris ma détresse et ne m’avait attrapée par le bras, entraînée, et fait traverser.
Oui, tout le monde voit que vous êtes étranger, bien sûr, comme en Inde, mais il n’y a pas de harcèlement. Pays très pauvre, évidemment, mais peu de mendiants. Bien sûr cela peut changer, cela a peut-être déjà changé. Il y a bien les types qui glandent sur leurs motos et vous proposent de vous emmener ici ou là. J’avais quand même trouvé un truc, dit-elle encore, pour ne pas avoir trop l’air d’une touriste, malgré mon petit sac à dos : je tenais une chemise cartonnée à la main, j’avais l’air de travailler, ou d’aller travailler, ça fonctionnait assez bien. La situation était plus délicate pour une de mes collègues, une noire américaine, vraiment très noire, et qui faisait fureur, on s’arrêtait pour la montrer du doigt, c’est tout juste si on ne venait pas la toucher…
Fiordiligi est allée trois fois à Hanoi, trois années de suite. La densification de la circulation, d’une année à la suivante, était visible, évidente même. Un jour, tout va s’arrêter, dit-elle. La dernière fois que j’y suis allée, le port du casque venait d’être rendu obligatoire. Un changement sensible dans le paysage urbain, à cause des couleurs, auquel le plan est totalement aveugle. Des pastels. Les jeunes femmes, qui portaient déjà de longs gants et des masques (pour se protéger du soleil et ne pas bronzer, ce qui les aurait fait ressembler à des paysannes) se sont mises au casque rose nacré.
Et puis, c’est qu’il faut les traverser, ces rues. La technique est, en principe, d’y aller, de se lancer. Pas vite, mais régulièrement et sans aucune brusquerie. Autour de vous, les motos calculent leur trajectoire en fonction de la vôtre, elles vont passer derrière vous. Si vous vous arrêtez, si vous hésitez même, vous perturbez tous ces beaux calculs, ce qui est bien sûr très dangereux. Tactique idéale et efficace. Vous commencez même à y prendre plaisir, à goûter une certaine forme de sérénité, à avancer en regardant droit devant vous sans vous préoccuper du flot qui s’entrouvre sans ralentir pour vous laisser passer.
Sauf qu’il y a aussi des voitures. Une fois, dit Fiordiligi, je devais être fatiguée, je suis restée au bord, sans oser me lancer. Je devais attendre depuis plusieurs minutes. J’y serais peut-être encore, si une toute petite dame vietnamienne âgée n’avait compris ma détresse et ne m’avait attrapée par le bras, entraînée, et fait traverser.
Oui, tout le monde voit que vous êtes étranger, bien sûr, comme en Inde, mais il n’y a pas de harcèlement. Pays très pauvre, évidemment, mais peu de mendiants. Bien sûr cela peut changer, cela a peut-être déjà changé. Il y a bien les types qui glandent sur leurs motos et vous proposent de vous emmener ici ou là. J’avais quand même trouvé un truc, dit-elle encore, pour ne pas avoir trop l’air d’une touriste, malgré mon petit sac à dos : je tenais une chemise cartonnée à la main, j’avais l’air de travailler, ou d’aller travailler, ça fonctionnait assez bien. La situation était plus délicate pour une de mes collègues, une noire américaine, vraiment très noire, et qui faisait fureur, on s’arrêtait pour la montrer du doigt, c’est tout juste si on ne venait pas la toucher…
14 août 2014
(à suivre)
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