Michèle Audin

Il y a les plans, bien entendu, et ils sont utiles, il y a surtout tout ce qu’ils ne disent pas et dont une liste pourrait être ébauchée ici.
- Les plans ne montrent pas les bougainvillées au-dessus des murs.
- Si les plans montraient l’infernale circulation automobile, le métro serait peut-être davantage utilisé.
- Les plans ne disent rien du goût du café. C’est ici qu’il faudrait mentionner les bienfaits (pour le colonisateur) de la colonisation.
- Ce que les plans n’indiquent pas, ce sont les endroits où l’on sent l’odeur des sardines grillées, parce que ceci, qui est fort commun, est toujours inattendu.
- Les guides peuvent parler de cuisine régionale, mais comment un plan pourrait-il seulement évoquer le subtil mélange de saveurs de la carne de porco alentejana ?
- Que savent les plans, à part son nom, du lieu nommé Portas do Sol, où l’on voit aussi bien se lever la Lune, car nul ne l’ignore, la Lune se lève du même côté que le Soleil.
- Les plans ne savent rien des arbres, eux qui représentent les parcs en vert, alors que les arbres du Jardim Botânico, pour ne parler que d’eux portent tant de verts différents.
- Aucun plan ne dira jamais quels bancs de la praça do Principe real sont au soleil les après-midis d’octobre, ni de quels bancs de cette place on voit se dessiner les chaînettes du pont.
- Les plans ne savent rien les jours de vent des parapluies déchirés, défoncés, baleines tordues ou brisées, abandonnés, sans doute envolés, sur les trottoirs, ou fleurissant dans les poubelles.
- Que savent les plans de la couleur du Tage, qu’ils représentent en vert, en bleu ou même en blanc, en rien, alors que le Tage n’est jamais uniformément vert, ni bleu, ni gris, ni surtout rien.
- Les plans ne savent rien de l’atmosphère, de la couleur de l’air, de sa transparence après les tempêtes, de son opacité de brouillard étrange à l’odeur de bois brûlé lorsque la forêt flambe à Mafra.
- Ils ne disent même rien sur les azulejos et la beauté de la décoration des stations du métro, la bande dessinée racontant l’histoire, dans la salle de correspondance de Marquês de Pombal, par exemple.
- Un plan peut montrer la place do Carmo, l’église do Carmo (peut-il montrer qu’il s’agit de ruines, datant du grand tremblement de terre, un édifice jamais reconstruit ?), mais pas les oeillets (rouges).
- Les rues transversales par lesquels apparaît un scintillement du Tage, fugitif, on a traversé, même sur un plan muni de courbes de niveau, on ne les trouverait pas, à cause de la hauteur des immeubles.
- Les arrivées en avion, dos à l’océan Atlantique, lorsque les vents dominants le permettent, et la vue qu’elles offrent sur le site et la ville, les plans l’ignorent – ils pourraient d’ailleurs en être jaloux.
- On trouve Nossa Senhora do Monte sur les plans, peut-être même, en cherchant bien, les escaliers pour y monter, mais ses pins parasols, et la vue sur Lisbonne qu’on y découvre, comment un plan pourrait-il les suggérer ?
- Dans quels jardins il y a des palmiers, dans quels autres il y a des oliviers, dans lesquels il y a à la fois des palmiers et des oliviers, les plans ne le disent pas, pas plus qu’ils n’indiquent le petit arbre rond, exquis, en bas des escadinhas de São Crespim.
28 septembre 2014
(à suivre)
 

PS. Il y a une légende de l’illustration dans le post-scriptum de la page images.