Michèle Audin

Peut-être convient-il de commencer par rappeler que, pas plus que les autres, ceci n’est un article sur une ville, Kiev en l’occurrence, mais que c’est bien un article consacré au plan de cette ville conservé dans la collection – depuis, dans ce cas précis, trente-six ans… L’image de couverture, photographiée dans le quotidien Libération le 5 août dernier, semble illustrer la différence de façon adéquate.
Et ce commentaire renvoie à l’instabilité…

Plan de Kiev, donc. Il s’agit cette fois d’un grand plan, jauni car assez ancien (à l’échelle de la vie de nos héros), il porte d’ailleurs des informations sur les transports publics qui sont celles du 1er janvier 1975 (est-il dit dans la « page » de titre). Kiev guide to city transports, tel est le titre, en anglais, sur une image rouge, noire et blanche qui contient, de haut en bas, une rose des vents, un M qui veut dire métro (aucun doute là-dessus), une voiture, un bus, un trolley et un tram. De ce côté du dépliant, il y a des listes, liste des rues, liste des hôtels, des théâtres, cinémas, musées, palais de la culture et clubs, établissements sportifs, institutions scientifiques et d’éducation, bibliothèques, magasins, marchés… On y lit aussi le copyright (de 1976, qui est aussi la date de l’ordre du drapeau rouge remporté par ce plan, ou par son éditeur). Une fois ouvert, le plan est à peu près carré, quadrillé (A à K, 1 à 8), vaguement jaune passé, les lignes de transport y sont imprimées en bleu et (ou) rouge, le Dniepr et ses ramifications sont bleus. Il n’y a ni échelle ni rose des vents sur le plan. La légende occupe le coin inférieur gauche, elle reprend les items énumérés au verso, plus les stations-service et d’essence ; un plan du centre agrandi figure dans le coin inférieur droit. D’après les noms des rues (Lénine, Tchapaev, Tchekhov, Tolstoï, Pouchkine, Kalinine, Karl Marx, Kommintern, Tourgueniev, Gogol, Commune de Paris, Kirov), on pourrait être n’importe où en Union soviétique, on pourrait même se croire en Russie.
*
Tu te souviens de Kiev ?
Non, pas vraiment.
Dis quelque chose.
Des églises à bulles ?
Oui. Sainte-Sophie, et des catacombes, tu te souviens ?
Il y avait des catacombes ?
Oui. Et des vieilles dans les églises, les génuflexions ? Je voudrais ne pas m’en souvenir.
Et la grande porte de Kiev, elle existait toujours ?
Je ne sais plus.
N’avions-nous pas fait une promenade en bateau, une île, le Dniepr ?
Je ne sais plus.
Tu te souviens d’Otello ?
Ah, ça oui. En russe. Je crois que c’est le seul opéra que nous ayons vu et qui n’était pas en version originale. Tu te souviens de Iago, avec ses effets de cape ? Ça je ne l’oublierai pas. Un ridicule méchant d’opéra populaire.
Ridicule, mais efficace.
Tu te souviens comment on dit il fasoletto en russe ?
Ah, ça non. En russe ou pas, il glisse le mot, et ça marche, regarde les dégâts.
Tu te souviens que la jalousie est une maladie infantile ?
Oui, et que nous sommes des adultes.
6 septembre 2014
(à suivre)

$\Rightarrow$  instabilité