- La saudade, c’est le mot, qui saisit Fiordiligi lorsqu’elle ouvre les plans de sa collection et y lit, qui n’y sont pas,
 

l’aqueduc au-dessus de la place des amoreiras,
les araucarias du jardin botanique,
les bancs du Alto de Santa Catarina,
les bandes dessinées de céramique,
les bibliothèques de Vieira da Silva,
les bières que l’on boit aux kiosques des miradors,
les bougainvillées,
la boutique où elle achète ses chaussettes,
le bruit même des avions,
les cacilheiros sur le fleuve,
les caravelles sur les images anciennes du Tage,
le charme discret et populaire de São Bento,
les sept collines,
la coriandre et le romarin,
le correcteur qui un jour écrivit não,
les cyprès,
les déambulations qui se transforment en pages de romans,
les débris de parapluies voletant d’une flaque à l’autre,
les décorations de la Saint-Antoine dans l’Alfama,
les dessins que forment les petits pavés noirs et blancs,
l’emblème rouge et blanc du Benfica dans les taxis,
les escaliers et escadinhas,
le fado que chantent les patronnes des cafés de l’Alfama,
la friture de carapauzinhos,
les funiculaires devenus promène-touristes,
le goût du café,
l’histoire du siège,
le grand incendie de Lisbonne,
l’incendie du Chiado dont elle se souvient,
la rua das Janelas verdes et le Bosch dans le musée,
le kitch désuet mais élégant,
la librairie Bertrand sur la rua Garrett,
la pleine lune se levant aux portes du soleil,
le marquis avec son lion, sur son socle,
la mer s’élevant en bouillonnant dans le port,
le miroir étincelant du Tage,
les mouettes sur les colonnes,
la mule de Saint Antoine,
a nata, la crème des pasteis,
la nef à ciel ouvert de l’église des Carmes,
Nossa Senhora do Monte,
obrigado, José Saramago, sur les affiches après sa mort,
les oeillets rouges sur la praça do Carmo,
les passages cachés de l’Alfama,
la pâtisserie, attirante, élégante, et trop sucrée,
la pension rue du 5 de outoubro,
les photographies du pont,
les pages de romans qui se transforment en déambulations,
la papeterie rua do Ouro où elle achète ses cahiers,
les parapluies en bouquets dans les poubelles,
les pasteis de bacalhau aux comptoirs des bars,
le pigeon sur la tête de Camões,
les pins parasols dans la bourrasque,
les portraits d’Amalia, partout dans la ville en deuil,
la discrète, secrète, praça das Flores,
le quartier de São Bento et Estrela,
qui a vraiment construit, reconstruit la ville,
le rayon de soleil que vit il y a longtemps le muezzin,
la révolution, en avril, lorsqu’elle avait vingt ans,
les riz, arroz de tamboril, par exemple,
les romans qui furent ses clefs pour Lisbonne,
la rua do Seculo, ou de O Seculo, on ne sait pas,
les ruelles où apparaissent la lumière du Tage, le pont,
les sardines grillées,
les vilains sièges de banque,
le soleil voilé par les cendres flottant dans l’air,
la sortie de la messe emplissant la pâtisserie de Belem,
la statue équestre et l’arc de triomphe,
les touristes se pressant pour prendre le tram 28,
l’ultime, lieu où la mer s’achève et où la terre attend,
le petit bout de Venise,
le vent dans les cheveux,
les vieilles qui prennent le tram pour s’éviter la montée,
les deux vieux sur les bancs au soleil,
les vitrines emplies de boîtes de sardines,
le Voltaire bleu dans la correspondance du métro,
la vue en arrivant,
le w qui manque dans l’alphabet portugais,


ce qui n’empêche pas les souvenirs.
1er octobre 2014
(à suivre)

PS. Il y a une légende de l’illustration dans le post-scriptum de la page images.