Michèle Audin

Un manque, c’est une absence. Voilà une définition. Nous insistons, un manque n’est pas un oubli.

Cet article pourrait être prétexte à une nouvelle liste. De ce qui manque dans cet atlas, la liste serait longue. Contentons-nous de citer quelques villes dont les plans auraient pu se trouver dans les boîtes à chaussures.

Une précaution s’impose. Celles qui sont, dans l’ordre alphabétique, avant « manque », nous sommes sûrs que leur plan n’apparaîtra pas miraculeusement, au tout dernier moment, comme celui de Honfleur. Pour les autres, nous pouvons ici seulement parler d’une forte probabilité qu’elles manquent dans l’atlas.

Et puis Florence, où les deux couples d’amis ont rencontré, à la sortie du musée des Offices, cet Alfonso, qui les a emmenés boire un café et a si bien manœuvré que Fiordiligi et Ferrando se sont envisagés et dévisagés autrement, à cette histoire des allusions ont été faites, tous les quatre ont surmonté cette épreuve et y pensent aujourd’hui avec sérénité et même avec bonheur, ce qui n’explique pas pourquoi il n’y a pas de plan de Florence dans les boîtes à chaussure.
Amiens, Brême dont il a déjà été regretté que son plan manquât, Bruges qui aurait été l’occasion de prononcer et de goûter le mot béguinage (et aurait pu servir de prétexte à une liste de « Venises » (celles du nord, de l’est, voire celle du Gâtinais)), Bruxelles, Calais, Cracovie où Guglielmo et Fiordiligi sont allés tous les deux (mais on ne peut pas dire que cet atlas manque de Pologne)…
Et Jérusalem où Fiordiligi a passé une journée, il y a vingt ans, dont il sera sans doute question à l’article Tel Aviv, Léningrad, car c’est ainsi que se nommait la ville dans laquelle Guglielmo et Fiordiligi ont passé tant d’heures au musée de l’Ermitage.

Dans ces manques manque ce que nous oublions et dont une partie fera peut-être partie d’un article « oubli ». Et peut-être l’une ou l’autre des villes suivantes auront quand même leur article.
Metz (ainsi d’ailleurs que Nancy), Mulhouse (où pourtant Fiordiligi est allée souvent, mais voilà, il n’y a pas de plan, c’est comme ça), Nancy (ainsi d’ailleurs que Metz), Pékin (que l’on devrait écrire (et prononcer ?) Beijing) d’où Guglielmo a rapporté des boucles d’oreilles rouges en « laque de Pékin » pour Lucia et pour Fiordiligi mais pas de plan, Pise sur le chemin (de fer) de Florence, Salamanque manque, Ségovie aussi, Syracuse (mais y a-t-il des plans de Syracuse ?), Tokyo où Guglielmo est allé (comme Pékin, Tokyo aurait ou être prétexte à des considérations sur les plans des villes énormes), Valladolid…


Il me semble, intervient le vieux Qfwfq, que vous devriez être plus explicite sur cette histoire, celle d’Alfonso et de Florence. Il se trouve, encore un manque sans doute, que Guglielmo est absent. Vous avez de la chance qu’il ne soit pas là. Mais je vais vous expliquer, à vous. Nous étions tous les quatre, vous savez que « tous les quatre » veut dire Dorabella, Ferrando, Guglielmo et moi, à Florence. C’étaient les vacances. Aucun de nous n’a été capable, ensuite, de se souvenir de ce que ce type avait bien pu nous dire exactement. Mais, nous en sommes tous convaincus, c’est lui qui a tout déclenché. Tout quoi ? Pour vous le dire brièvement : un coup de foudre brutal et violent, Ferrando et moi sommes tombés amoureux l’un de l’autre. Violemment, si vous permettez que je me répète. Quelques jours plus tard, nous nous sommes retrouvés tous les deux, sans les autres, ce n’étaient plus les vacances mais un voyage professionnel, vous avez compris que nous faisons le même métier, Ferrando et moi, et que nous avons souvent l’occasion de nous rendre aux mêmes congrès. Nous étions (en tout cas j’étais) pétrifiés de désir. Il y avait ses yeux, son visage. Et puis, vous voyez, je lui ai simplement dit bonsoir, je m’en vais, j’ai détourné le regard et je suis partie, le cœur en cendres, si vous m’excusez ce cliché. Et c’est plus ou moins tout.
Et vous l’avez choisi, lui, Guglielmo.
Oui.
Il devait en être heureux.
L’idée du bonheur… Nous en sommes heureux, je crois.

Tu parles avec qui ? demande Guglielmo en rentrant. Plus ou moins toute seule.

Plus tard, ils sont dans la cuisine. Il ne manque pas un peu de nourriture, dans ton atlas ? Guglielmo épluche des aubergines grillées pour en faire du caviar (d’aubergines). Je t’épluche de l’ail ? Si tu veux, mais avant, tu nous sers un verre de vin ?
18 octobre 2014
(à suivre)

une image du jour (ou presque): le ciel à Mulhouse
pour nous faire pardonner
au moins un de ces manques